Un reflet de la diversité

Éric-Emmanuel Schmitt, Ma vie avec Mozart (2005)

Cher Mozart,

Il n’y a pas une histoire de la musique mais une géographie de la musique. Sur une mappemonde multicolore existent plusieurs continents, le continent Bach *, le continent Mozart *, le continent Beethoven *, le continent Wagner *, le continent Debussy, le continent Stravinski… Parfois des océans massifs peints en bleu profond les séparent ; parfois, seul un détroit étroit marque la frontière, comme entre Debussy et Stravinski ; plus rarement, les territoires se chevauchent en raison d’une continuité géologique, ainsi Mozart et Beethoven partagent-ils un fleuve comme délimitation.

Non loin des masses continentales se détachent certaines îles plus ou moins importantes : l’île Vivaldi ou la péninsule Haendel autour de Bach ; les archipels Schumann ou les atolls Chopin aux environs de Beethoven. De temps en temps, à la faveur d’un raz-de-marée, on doit redessiner les cartes car, s’il est rare que des territoires disparaissent, il est courant que de nouveaux émergent.

Si la musique constitue une géographie, cela signifie que nous sommes devenus des voyageurs. Nos pérégrinations musicales n’ont rien d’une visite guidée, linéaire, fastidieuse qui emprunterait le chemin des siècles ; elles relèvent plutôt de raids libres, imprévus, imprévisibles, de sauts désordonnés effectués par lestage en parachute. Un jour chez Mozart, l’autre chez Debussy… Cette luxueuse fantaisie – avoir accès à tout –, les techniques modernes nous la permettent.

On ne découvre ni on n’aime les compositeurs dans l’ordre successif où ils sont apparus. Et si je me sens bien chez toi, Mozart, cela ne signifie pas que j’éprouve la nostalgie de ton temps ni que j’ai une sensibilité de ton époque puisque, une heure plus tard, je séjournerai chez Messiaen en passant par Ravel.

Cela dément de surcroît cette absurde notion d’un progrès en musique, comme si Schoenberg avait quelque chose de plus que Bach… Sur le globe de la musique, il n’y a que des univers…

QUESTIONS :

– Faites l’inventaire des compositeurs cités dans le texte. Pour chacun d’eux, indiquez sa nationalité, le siècle auquel il a vécu, et quelques caractéristiques de sa musique (style, mouvement, œuvre marquante).
– Choisissez ensuite parmi ces musiciens celui d’entre eux qui a suscité plus particulièrement votre intérêt et choisissez une œuvre qui vous paraît intéressante. En quoi elle permet de faire voyager ? Dans votre démonstration, vous veillerez à réinvestir ces propos : « Si la musique constitue une géographie, cela signifie que nous sommes devenus des voyageurs. »


Nicolas Journet, « Dans le grand tiroir de la world music » (2012)

On y trouve d’abord les musiques dites « traditionnelles » ou « folkloriques », exécutées et enregistrées parfois hors studio, avec des instruments de facture locale. Souvent liées à des rituels ou des festivités, elles incarnent l’authenticité un peu rébarbative du produit culturel sans auteur, porté par des collections musicologiques ouvertes aux traditions savantes de l’Inde, de l’Extrême-Orient et de l’Europe centrale. Les disquaires renâclent à les diffuser tant leur clientèle est étroite, sauf enthousiasme exceptionnel (les polyphonies pygmées, par exemple). Malgré tout, c’est, selon Trevor Wiggins, sous cette forme que la world music a pu faire son entrée dans certains conservatoires des grandes capitales mondiales (là où elle est enseignée).

Vient ensuite une très large palette de musiques populaires aux racines locales, européennes ou non, parfois de création récente, jouées avec des moyens modernes par des musiciens également locaux et qui ont pu connaître, à la faveur des modes, une diffusion mondiale. Exemple : le zouk antillais, le son cubain, la musique des gnawas marocains, la morna de Cesaria Evora, le tango de Daniel Melingo, etc. Facile d’écoute, souvent dansante, mais aussi élégiaque, cette world music-là est si internationale que l’on se demande ce qui la tient à l’écart des variétés, de la pop *, du rock *, du jazz *, du rap *, avec lesquels elle procède à des échanges fréquents. Stevie Wonder, James Brown et les Beatles ont avoué avoir emprunté au style de Fela Anikulapo Kuti, le musicien nigérian créateur de l’afrobeat. S’ils ne voisinent pas avec lui dans les bacs, c’est qu’au départ au moins, Fela s’adressait à une clientèle africaine. Le critique Étienne Bours, lui, distingue dans ce tiroir au moins deux profils de musiques. D’abord, les styles « défolklorisés » qui, en rectifiant leurs orchestrations, ont séduit un public international sans abandonner leurs références traditionnelles : le chant soufi électrifié du Pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan, ou le maqâm ouzbek sur fond de synthétiseur de Yulduz Ousmanova, ou encore la musique celtique de Tri Yann et le chant cristallin de Luzmila Carpio (Bolivie). Elles sont assez souvent, comme le rock sahraoui, porteuses de revendications particularistes, culturelles ou politiques.

Par ailleurs, les musiques métropolisées, « qui naissent de l’éclatement des cultures au sein des grandes villes » : la salsa new-yorkaise, le raï maghrébin, le jazz balkanique de Goran Bregovic, le reggaeton * portoricain mâtiné de rap. Souvent portés par des diasporas, les styles métropolisés brassent toutes les langues, les instruments, les nationalités, incarnent le principe même du métissage et de l’hybridité culturelle. Leurs rythmes festifs et conviviaux invitent à l’ouverture, la tolérance, la fin des discriminations, la coexistence des cultures.

Reste enfin une troisième couche de world music, celle qui fait grincer le plus de dents bien qu’elle ait donné naissance à un genre assez nouveau : c’est celle de la reprise, retravaillée, de mélodies et de sonorités « autochtones » par des musiciens qui, souvent, n’ont rien à voir avec la région d’origine. Il y en a de plusieurs styles : Peter Gabriel et Paul Simon ont accommodé à la mode pop des musiques africaines. Mais il y a plus radical : le groupe Deep Forest mixe, sample et réorchestre avec succès des extraits musicaux venant de la Sibérie à l’Amazonie en passant par l’Inde et le Tibet et les didgeridoos australiens. Estampillé world beat ou global fusion, ce genre aspire à diffuser des messages de paix, de respect de la nature et des peuples qui en sont proches, et leur attribuent une dimension spirituelle propre à séduire les adeptes du new age et les fervents du chamanisme. Aux yeux des musicologues, ce recyclage est à la musique traditionnelle ce que la musique d’ascenseur est à la musique classique, c’est-à-dire une trahison, qui propage une vue fausse, « disneylandisée » des originaux. Mais où est le problème ? Sans aucun doute, c’est la prétention de raccrocher ces produits de synthèse à des traditions locales via une philosophie approximative : bref, le concept dérange plus que la musique elle-même. La pratique de la reprise littérale de sonorités et de motifs populaires ou exotiques, elle, n’est en effet pas nouvelle et a donné naissance à des genres universellement respectés : les compositeurs romantiques ne s’en privaient pas, le jazz a fait de même et continue de le faire. Emblématique de cette démarche, le jazzman norvégien Jan Garbarek travaille, depuis trente ans, sur des thèmes de musiques du monde. Nuance, cependant : il joue sur scène en compagnie d’instrumentistes indiens, pakistanais, tunisiens, samis et de chanteurs traditionnels suisses… Il incarne sans doute mieux que les produits world beat la mondialisation concrète de la musique locale.

QUESTIONS :

– À l’aide du texte, recensez les trois différentes catégories musicales que désigne l’expression world music. Écoutez-en certaines dont vous ignoriez l’existence.

– En quoi ces musiques proposent-elles un brassage des cultures et en quoi certaines d’entre elles posent-elles question ?


Fredericks, Goldman et Jones, « Un, deux, trois… » (1990)

Ça m’a pris par surprise
Quand j’étais qu’un gamin
Je regardais tomber mes nuits
Et j’en attendais rien

Moi à Springfield, Massachusetts
La vie coulait comme de l’eau
Un matin j’ai pris perpète
En ouvrant la radio

[REFRAIN :

Ça s’appelait rock and roll *
Moi ça m’a rendu folle
Moi j’y ai rien compris
Sauf que c’était ma vie
Tu comprends rien mais que ça sonne

Ça faisait un, deux, trois
Pretty mama
Quatre, cinq, six
I miss you

Sept, huit, neuf
Can’t get enough
Dix, onze, douze
I ain’t got the blues

One, two, three
Come on baby
Four, five, six
A kiss
Seven, eight, nine
You’re on my mind
Ten, eleven, twelve
Tell me when]

Il paraît qu’il y en aurait qui se damnent
Pour du pouvoir, pour de l’or
Chacun sa façon de brader son âme
On les plaint pour ce qu’ils ignorent

Moi quand j’entends l’intro de “Hey Joe”
Oh je comprends mieux qu’aucun mot
Et rien ne me met dans le même état
Que la voix d’Aretha

[REFRAIN]

Et c’était plus qu’une musique
Un langage, une communion
Une religion laïque
Notre façon de dire non

Des cheveux longs jusqu’au blouson
Mêmes idoles et mêmes temples
Nous allions tous même direction
Nulle part, oui mais ensemble

[REFRAIN]

QUESTIONS :

– Effectuez une recherche sur les trois interprètes de la chanson.

– Quels termes suggèrent la force du lien établi par la musique par-delà les différences ?

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