Pourquoi frissonne-t-on de plaisir en écoutant de la musique ?, 20Minutes.ff
Les voies du plaisir sont un peu moins impénétrables. Une étude publiée ce dimanche révèle que le plaisir intense ressenti en écoutant de la musique entraîne la sécrétion dans le cerveau de dopamine, un neurotransmetteur servant à valoriser ou récompenser des plaisirs plus concrets associés à la nourriture, la prise de drogue ou l’argent.
La dopamine est une molécule chimique du «système de récompense» servant à renforcer certains comportements indispensables à la survie (alimentation), ou jouant un rôle dans la motivation (récompense secondaire via l’argent).
Les «frissons», signes de plaisir extrême
Comment est-elle impliquée dans un plaisir abstrait comme celui d’écouter la musique, qui ne paraît pas directement indispensable à la survie de l’espèce? Pour le comprendre, des chercheurs de l’Université McGill de Montréal (Canada), ont sélectionné une dizaine de volontaires âgés de 19 à 24 ans parmi les 217 ayant répondu à des annonces demandant des personnes ayant déjà éprouvé des «frissons», signes de plaisir extrême, en écoutant de la musique.
A l’aide de différents appareils d’imagerie (TEP, IRM fonctionnelle), l’équipe de Valorie Salimpoor et Robert Zatorre a mesuré la sécrétion de dopamine et l’activité du cerveau. Parallèlement des capteurs renseignaient sur le rythme cardiaque et respiratoire des volontaires, leur température ou des signes de frissons de plaisir au niveau de la peau.
Anticipation du plaisir
Les résultats publiés dans la revue scientifique Nature Neurosciences montrent que la dopamine est secrétée à la fois en anticipation du plaisir lié à la musique écoutée et lors du «frisson» de plaisir lui-même, c’est-à-dire du pic émotionnel. Il s’agit de deux processus physiologiques distincts impliquant des zones différentes au coeur du cerveau.
Lors du pic de plaisir, le noyau accumbens impliqué dans l’euphorie liée à la prise de psychostimulants comme la cocaïne était concerné. Juste avant, par anticipation, l’activité de la dopamine était constatée dans une autre zone (noyau caudé). Le niveau de sécrétion de dopamine variait avec l’intensité de l’émotion et du plaisir, par comparaison avec des mesures faites lors de l’écoute d’une musique «neutre», c’est-à-dire laissant les volontaires de marbre.
Plaisir abstrait
«Nos résultats contribuent à expliquer pourquoi la musique a une si grande valeur dans toutes les sociétés humaines» concluent les chercheurs. Ils permettent de comprendre «pourquoi la musique peut être efficacement utilisée dans des rituels, par le marketing ou dans des films pour induire des états hédoniques», ajoutent-ils.
Plaisir abstrait, la musique contribuerait, grâce à la dopamine, au renforcement des émotions, en faisant appel à des notions d’attente (de la prochaine note, d’un motif préféré), de surprise, d’anticipation.
QUESTIONS :
– Quel neurotransmetteur est libéré dans le cerveau et à quels moments est-il sécrété ?
– Pourquoi la musique peut donc être utilisé dans le marketing ?
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Hugo Boris, Le Baiser dans la nuque (2005)
Elle a un sourire un peu plus appuyé que d’habitude, qui trahit sa timidité nouvelle.
Ils se sentent un peu maladroits, confus, comme deux amis réconciliés qui viennent de se retrouver.
La neige a recouvert le jardin, la pièce baigne dans une flaque de lumière blanche, un peu laiteuse. En entrant, tout lui paraît bouleversé comme si elle n’était pas venue depuis une éternité. Louis a simplement basculé le piano à la perpendiculaire du mur. L’instrument dévoile la peau fragile de son dos, une mince paroi en bois clair. La table d’harmonie est à nu, une planche taillée dans un épicéa de Hongrie, traversée de barres diagonales en bois massif.
Pour la première fois, elle le voit s’installer au clavier.
Il se sent sûr de lui. Elle s’en est allée, lui est revenue, c’est qu’elle ne repartira plus.
Il l’invite à faire le tour. Il est venu la chercher par la peau des fesses à la maternité, elle n’a plus qu’à obéir, préfère se laisser faire, intriguée par cet homme qu’elle ne connaît décidément pas. Elle contourne l’instrument et disparaît derrière.
« Retire tes appareils. »
Les deux contours glissent dans sa main, qu’elle vide sur le sommet du piano. Elle pose ses doigts à plat sur le bois : il est tiède.
Louis, d’un geste sûr, fait résonner l’instrument.
Elle se sent d’abord aussi indiscrète que derrière une porte, à écouter une conversation personnelle. Elle écoute avec ses mains, mais l’indiscrétion n’est pas moindre. Les vibrations irradient ses doigts, franchissent le poignet, remontent doucement jusqu’au coude, passent, affaiblies, dans l’épaule, viennent mourir dans sa poitrine. Elle sent parfaitement dans ses mains quand le piano s’exclame, ralentit, s’adoucit, ou, au contraire, prend une voix sentencieuse. Elle fait glisser ses paumes sur la planche, dans l’intervalle oblique des barres de table. Les frémissements du bois parlent un langage qui n’est pas aussi articulé que celui du clavier, mais qui ont sa logique. Elle a l’impression diffuse de pouvoir toucher la musique – et la vague impression de toucher Louis, mais chasse vite cette pensée. Pour elle, la musique deviendra bientôt cela : un fourmillement dans les doigts, vivant, fragile. Cette pensée l’apaise. Sourde, il lui restera ça, une main qui console.
Ses paumes lui disent que Louis s’est arrêté de jouer. Il se lève et lui sourit en faisant un signe de la tête qui veut dire : à ton tour. […]
QUESTIONS :
– Relevez les verbes de perception dans le texte. Quels sens désignent-ils principalement ? Pourquoi ?
– « Les frémissements du bois parlent un langage qui n’est pas aussi articulé que celui du clavier, mais qui ont sa logique. » Selon vous, en quoi la musique est-elle une manière de communiquer qui a sa propre logique, différente de celle du langage ?
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Vladimir Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé (1978)
La musique, à la différence du langage, n’est pas entravée par la communication du sens préexistant qui déjà leste les mots ; aussi peut-elle toucher directement le corps et le bouleverser, provoquer la danse et le chant, arracher magiquement l’homme à lui-même. Les plis et replis du souci s’effacent d’un seul coup dès que chantent les premières mesures de la sonate ou de la symphonie ou du quatuor. Les fronts ridés redeviennent lisses et unis comme le front d’un petit enfant. La musique fait oublier le temps vide, et rend de même insensible le temps de la morosité introspective : c’est le remède miracle pour les hommes malades d’ennui. Une sorte d’exaltation soulève parfois l’auditeur et semble le transfigurer, l’arracher momentanément à la pesanteur ; il est devenu tout élan et toute lévitation. Auditeur et créateur, ils participent, chacun à sa manière, de cet élan commun. Une sublime évidence éclate soudain quand le temps maudit, tâtonnant, laborieux, le temps de l’impatience et de l’expectative, est touché par la grâce de la temporalité enchantée.
QUESTIONS
– En vous appuyant sur le texte, expliquez en quoi la musique diffère du langage.
– D’après le philosophe, quels sont les rapports entre la musique et le temps ?
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Verlaine, « Art poétique » (1884)
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.
C’est des beaux yeux derrière les voiles,
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est, par un ciel d’automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la Nuance !
Oh ! la Nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !
Prends l’éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d’énergie,
De rendre un peu la Rime assagie :
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?
Ô qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.
QUESTIONS :
– Montrez que le rythme et les sonorités, par leur musicalité, apparentent le poème à un chant.
– Verlaine affirme aux vers 13-14 : « Car nous voulons la Nuance encor,/ Pas la Couleur, rien que la Nuance ! » À quelle autre forme d’art fait-il allusion ici ? Quelles correspondances observez-vous entre cette forme d’art et la musique ?
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Michel Leiris, À cor et à cri (1988)
Toute censure levée, exploser dans un cri soudain, gémir ou se noyer dans un long hurlement : cela se fait sans qu’on le veuille et au hasard (pas de recherche de réponse et aussi peu de réflexion préalable que si, par exemple, on jette une pierre dans l’eau).
Parler : c’est s’adresser à quelqu’un – ou quelques ou beaucoup – que l’on veut soit informer, convaincre, prier ou commander, soit prendre simplement pour partenaire et qui est votre interlocuteur (s’agirait-il de la parole écrite, auquel cas cet interlocuteur, alors lecteur invisible, n’est que le récepteur, muet par définition, de votre soliloque).
Faire chanter les mots, comme un peintre peut faire chanter ses couleurs : chercher à être entendu de partenaires privilégiés qui vibreront à l’unisson ou plutôt de ce qui, chez ces partenaires, est susceptible de vibrer avec vous.
Quant à la cible vers quoi votre voix orale ou écrite s’élance en flèche, on peut estimer que l’on ne crie pour personne, qu’on parle pour une personne au moins et que, si l’on chante, cela tend à toucher certaines fibres de certaines personnes, à l’échelon le moins public. Crier, parler, chanter : progression qui va du plus flou au plus spécifique, du plus général ou quasi nul au plus particulier.
Lorsqu’on pousse un cri, on ne vise à rien. Lorsqu’on parle, on vise à transmettre, de sorte qu’il faut en principe être aussi positif et peu ambigu que possible. Lorsqu’on chante, on vise à émouvoir (communiquer en profondeur) et ce n’est plus à la raison que revient la part du lion.
Plus encore que parler, chanter est un moyen de ne pas être seul, fût-ce en se tenant compagnie à soi-même, comme qui fredonne une chanson pour s’encourager à poursuivre sa route.
Pas de méprise quand je dis « chanter », je ne veux nullement dire s’exprimer en se pliant à une musique comme dans le vers ou dans la phrase harmonieusement agencée ; je veux dire parler, d’une voix plus pénétrante et meilleure éveilleuse d’échos que celle dont on use dans la conversation.
Crier : trouer le calme plat.
Parler : tresser un lien.
Chanter : proférant, phrasant, psalmodiant, balbutiant, faire taire ce qui journellement vous fait mal et qui, sur le moment, sera tantôt écarté, tantôt creusé et mué en source d’enivrement. […]
Si, la chance de mon côté, j’égrène les notes d’un chant, je vais à moi par le plus court chemin, quels qu’en soient les méandres.
QUESTIONS :
– Repérez précisément dans le texte ce qui caractérise le cri, la parole et le chant.
– Michel Leiris affirme que chanter signifie « parler, d’une voix plus pénétrante et meilleure éveilleuse d’échos que celle dont on use dans la conversation ». Développez ces propos en mettant en valeur les émotions que suscite en vous le chant.