La musique accompagne nos vies : dès le plus jeune âge, avant même la naissance semble-t-il, l’être humain est sensible au son, au rythme, à l’harmonie et au silence. La musique est source de plaisir, d’enthousiasme, de sensations fortes qui marquent notre mémoire. Très présente dans notre quotidien, elle est liée à la fête et à la danse, aux rites, mais aussi aux moments plus douloureux de l’existence. Elle peut offrir un refuge, voire nous isoler du monde. On l’écoute avec attention à l’occasion d’un concert, parfois elle passe plus inaperçue : musique d’ambiance entendue par hasard, presque par accident, émission de radio suivie distraitement. Il arrive aussi qu’elle agresse et provoque des réactions de rejet et d’exaspération.
La musique est un art exigeant, qui demande habileté technique et connaissances théoriques. Elle impose souvent une formation longue, difficile, parfois même éprouvante, puis un entraînement sans fin. Pour autant, les logiciels de création musicale la rendent aujourd’hui plus accessible. La musique requiert également l’investissement de ceux qui l’écoutent : temps, disponibilité, sensibilité, culture. Cependant, les critères d’appréciation sont multiples, à l’instar de la diversité des musiques.
Aujourd’hui, les outils numériques facilitent l’accès à des millions d’œuvres. Pourtant, que l’on soit en France ou n’importe où dans le monde, on a tendance à écouter les mêmes musiques, les mêmes chansons ; on vibre aux mêmes rythmes, on adule les mêmes stars. Magie de la communication moderne qui facilite la circulation des biens culturels et le partage, ou standardisation qui fait disparaître les singularités nationales et régionales, la richesse et la diversité? Comment même créer sa « playlist », alors que les algorithmes sont capables d’anticiper nos choix?
En tant qu’œuvres d’art, le morceau, la pièce ou la chanson peuvent aussi revêtir une dimension sociale ou politique. Hymnes nationaux, chants révolutionnaires, chansons engagées, morceaux emblématiques d’une génération, la musique prend différentes formes qui l’amènent à servir une cause. Elle devient dans ce cas la référence d’un groupe social, d’une époque, la clé d’un événement historique. Doit-on alors l’appréhender comme un art essentiellement fédérateur? La mode, la pression du collectif et de la norme laissent-elles encore une place à la singularité des goûts musicaux ?
QUESTIONS :
Identifier les principales idées de ce thème et structurez-les comme si vous souhaitiez en faire l’examen à travers différents chapitres.
Définissez les expressions suivantes. Vous devez parfois chercher l’origine de l’expression
- La musique adoucit les mœurs ;
- mettre un bémol ;
- ne tirez pas sur le pianiste ! ;
- travailler en musique ;
- réglé comme du papier à musique ;
- se mettre au diapason ;
- en avant la musique ! ;
- aller plus vite que la musique ;
- c’est toujours la même chanson ;
- on connaît la musique ;
- changer de refrain ;
- c’est du pipeau ! ;
- accordez vos violons ;
- emboucher la trompette de la Renommée ;
- sans tambour ni trompette ;
- à cor et à cri ;
- aller crescendo ;
- faire crincrin ;
- pousser la chansonnette ;
- toucher la corde sensible ;
- avoir des trémolos dans la voix,
Comment analysez-vous le fait qu’il existe autant d’expressions issues de la musique ?
Jean-Jacques Rousseau, « Musique », dans l’Encyclopédie (1768)
MUSIQUE, _s. f._ Art de combiner les Sons d’une manière agréable à l’oreille. Cet Art devient une science et même très profonde, quand on veut trouver les principes de ces combinaisons et les raisons des affections qu’elles nous causent. Aristide Quintilien définit la musique, l’Art du beau et de la décence dans les Voix et dans les Mouvements. Il n’est pas étonnant qu’avec des définitions si vagues et si générales les Anciens aient donné une étendue prodigieuse à l’Art qu’ils définissaient ainsi. […]
La musique se divise naturellement en musique théorique ou spéculative, et en Musique pratique.
La musique spéculative est, si l’on peut parler ainsi, la connaissance de la matière musicale ; c’est-à-dire, des différents rapports du grave à l’aigu, du vite au lent, de l’aigre au doux, du fort au faible, dont les Sons sont susceptibles ; rapports qui, comprenant toutes les combinaisons possibles de la Musique et des Sons, semblent comprendre aussi toutes les causes des impressions que peut faire leur succession sur l’oreille et sur l’âme.
La musique pratique est l’Art d’appliquer et mettre en usage les principes de la spéculative ; c’est-à-dire, de conduire et disposer les Sons par rapport à la consonance, à la durée, à la succession, de telle sorte que le tout produise sur l’oreille l’effet qu’on s’est proposé : c’est cet Art qu’on appelle Composition. […] À l’égard de la production actuelle des Sons par les Voix ou par les Instruments, qu’on appelle Exécution, c’est la partie purement mécanique et opérative, qui, supposant seulement la faculté d’entonner juste les Intervalles, de marquer juste les durées ; de donner aux Sons le degré prescrit dans le Ton, et la valeur prescrite dans le Temps, ne demande en rigueur d’autre connaissance que celle des caractères de la musique, et l’habitude de les exprimer.
La musique spéculative se divise en deux parties ; savoir, la connaissance du rapport des Sons ou de leurs Intervalles, et celle de leurs durées relatives ; c’est-à-dire, de la Mesure et du Temps.
La première est proprement celle que les Anciens ont appelée Musique harmonique. Elle enseigne en quoi consiste la nature du Chant et marque ce qui est consonant, dissonant, agréable ou déplaisant dans la Modulation. Elle fait connaître, en un mot, les diverses manières dont les Sons affectent l’oreille par leur timbre, par leur force, par leurs Intervalles, ce qui s’applique également à leur Accord et à leur succession.
La seconde a été appelée Rythmique, parce qu’elle traite des Sons eu égard au Temps et à la quantité. Elle contient l’explication du Rythme, du Mètre, des Mesures longues et courtes, vives et lentes, des Temps et des diverses parties dans lesquelles on les divise, pour y appliquer la succession des Sons.
La Musique pratique se divise en deux Parties, qui répondent aux deux précédentes. […]
On pourrait et l’on devrait peut-être encore diviser la musique en naturelle et imitative. La première, bornée au seul physique des Sons et n’agissant que sur le sens, ne porte point ses impressions jusqu’au cœur, et ne peut donner que des sensations plus ou moins agréables. Telle est la Musique des Chansons, des Hymnes, des Cantiques, de tous les Chants qui ne sont que des combinaisons de Sons Mélodieux, et en général toute Musique qui n’est qu’Harmonieuse.
La seconde, par des inflexions vives accentuées, et, pour ainsi dire, parlantes, exprime toutes les passions, peint tous les tableaux, rend tous les objets, soumet la Nature entière à ses savantes imitations, et porte ainsi jusqu’au cœur de l’homme des sentiments propres à l’émouvoir. Cette Musique vraiment lyrique et théâtrale était celle des anciens Poèmes, et c’est de nos jours celle qu’on s’efforce d’appliquer aux Drames qu’on exécute en Chant sur nos Théâtres. Ce n’est que dans cette musique, et non dans l’Harmonique ou naturelle, qu’on doit chercher la raison des effets prodigieux qu’elle a produits autrefois.
QUESTIONS :
– Comment Rousseau définit-il la musique et quelles composantes distingue-t-il ? Expliquez les différentes catégories évoquées avec vos propres mots.
– Quelle différence Rousseau fait-il entre la musique naturelle et la musique imitative ? Laquelle estime-t-il supérieure ? Pourquoi ?
Nina Berberova, L’Accompagnatrice (1985)
Puis elle chanta, elle chanta…
Je sais, il y a des gens qui n’admettent pas le chant9 : une personne prend la pose, ouvre la bouche toute grande (d’une façon naturelle – et alors c’est laid, ou d’une façon étudiée – et alors c’est grotesque) et, tout en s’efforçant de conserver sur le visage une expression d’aisance, d’inspiration et de pudeur, crie (ou rugit) longuement des paroles dont l’agencement n’est pas toujours réussi et qui sont, parfois, accélérées sans aucune raison, ou bien découpées en morceaux, comme pour une charade, ou encore répétées plusieurs fois de façon inepte.
Mais lorsque, après une aspiration (nullement affectée, mais aussi simple que lorsque nous aspirons l’air des montagnes à la fenêtre d’un wagon), elle entrouvrit ses lèvres fortes et belles, et qu’un son fort et puissant, plein jusqu’aux bords, retentit soudain au-dessus de moi, je compris tout à coup que c’était justement cette chose immortelle et indiscutable qui serre le cœur et fait que le rêve d’avoir des ailes devient réalité pour l’être humain débarrassé soudain de toute sa pesanteur. Une espèce de joie dans les larmes me saisit. Mes doigts frémirent, égarés parmi les touches noires ; craignant de la décevoir, dans les débuts, quant à mon application, je comptais en moi-même, mais je sentais qu’un spasme parcourait ma colonne vertébrale. C’était un soprano dramatique, avec les notes aiguës stables et merveilleuses, et les basses profondes et claires.
« Encore une fois, Sonetchka », dit-elle, et nous répétâmes l’air. Je ne me rappelle pas ce que c’était. Je crois que c’était l’air d’Élisabeth de Tannhäuser.
Puis elle se reposa cinq minutes, caressa le chat, but une demi-tasse de thé refroidi, me fit raconter N., mon enfance. Mais je n’avais rien à raconter. Mitenka, peut-être ? Oh, non ! Surtout pas Mitenka. Dieu merci, elle le connaît bien, son mari est le cousin germain de la mère de Mitenka. Pour avoir du talent, il en a, mais il lui arrive de ne pas pouvoir se rappeler son propre nom.
Et de nouveau elle chanta, et moi, avec application, mais encore avec prudence et timidité, je l’accompagnais dans ce miracle qui rappelait l’envol et le vol, et il y avait des moments où, de nouveau, une aiguille entrait dans mon cœur et me transperçait tout entière. Plusieurs fois, elle s’interrompit, me donna des indications, me demanda de recommencer. Elle m’observait, elle m’écoutait. Était-elle contente de moi ?
QUESTIONS:
– De quelle manière la voix de la soprano est-elle décrite dans le texte ? Relevez les éléments positifs et négatifs qui s’y rapportent. Que met en évidence cette opposition ?
– Relevez dans le texte toutes les marques qui montrent que la narratrice est transportée par la musique.
Francis Wolff, Pourquoi la musique ? (2015)
La musique est l’« art des sons ». C’est l’art qui rend les sons autosuffisants. Mais cela ne nous dit pas pourquoi elle nous fait danser, chanter, pleurer. Ni pourquoi, partout où il y a des hommes, il y a de la musique.
Imaginons en effet des créatures d’une autre planète, qui seraient en tout point comme nous – corps, esprit, langage, société, etc. – à ceci près qu’elles ne connaîtraient pas de musique. Elles seraient amusiques. Imaginons-les venant nous visiter, nous observer et tenter de comprendre, en anthropologues, pourquoi, chez nous les hommes, il y a de la musique […] : à quoi bon tous ces sons étranges qui sortent de vos engins et de vos gosiers ? nous demanderaient-ils. Le langage ou les images ne sont-ils pas des moyens plus simples et plus directs pour communiquer ou pour représenter ? Il faudrait alors leur confesser : « Si, chez nous, il y a de la musique, c’est que ça nous fait quelque chose. » Perplexité de nos extraterrestres amusiques […].
Alors, à défaut de pouvoir d’emblée leur expliquer pourquoi ça nous plaît et comment ça nous émeut, nous autres humains, ces sons mis en cet ordre, nous pourrions commencer tout simplement par leur lister quelques-uns des plaisirs qu’ils nous donnent. Nous leur tiendrions à peu près ce langage. Le premier et le grand plaisir de la musique, c’est d’en faire, dirions-nous. Avant d’être un acte contemplatif, une écoute ou un spectacle, un art chez nous est d’abord un savoir-faire. Avant le plaisir du concert ou du disque, il y a pour l’enfant le ravissement de produire un rythme avec ses mains et ses pieds. Et le babillage est autant la satisfaction de s’essayer aux sons qu’à s’initier au sens. Avant le mp3, avant le disque, avant même le concert, il y avait la musique de chambre pratiquée entre amis ; encore avant, il y avait le chant et les danses des jours de fête, la flûte et les tambours à la veillée ou dans les banquets. La musique existe pour être faite avant d’être faite pour être entendue. On éprouve un plaisir plus intense à jouer, mal, une fugue de Bach * au piano qu’à l’entendre bien jouée par les meilleurs interprètes, ne serait-ce que parce qu’en la jouant soi-même, on la comprend infiniment mieux, on en perçoit plus distinctement les différentes voix, on entend ce qu’on n’arrive à rendre que maladroitement, comme un acteur comprend à force de lectures les mille nuances d’une réplique dont il ne peut traduire qu’une faible partie. […] Mais la musique nous plaît souvent à être simplement écoutée. Il faudrait faire la part des plaisirs extrinsèques, ceux dont la musique n’est que la cause occasionnelle.
Les émotions négatives d’abord : la détente qu’elle est chargée d’apporter aux passagers qui s’installent dans la cabine de l’avion ou l’excitation qu’elle procure, à leur corps défendant, aux chalands des grands magasins pour mieux les disposer à l’achat. Il y a les émotions positives qui relèvent des sympathies fédératives : les vibrations vécues en chœur (les grands rassemblements des concerts de rock, les défilés de musique électronique), la reconnaissance empathique de sa communauté d’appartenance dans un langage musical (le rap *, les musiques « celtiques », etc.) ou dans certains morceaux (un hymne national ou international, un chant des partisans, etc.), le sentiment de puissance collective que l’on éprouve à chanter à tue-tête dans un groupe de rencontre, à prier de conserve à l’office, ou à marcher du même pas joyeux au-devant de la mort en chantant. La musique fonctionne alors comme marqueur d’identité ou comme instrument d’identification ; l’émotion qu’elle suscite se confond avec cette impression dont elle est à la fois l’effet et la cause : « Cette musique, c’est nous ! » J’existe dans et par ce « nous » dont j’entends bien dans la musique qu’il est plus fort que « moi ». […]
On pourrait encore énumérer d’autres émotions dont la musique n’est que la cause occasionnelle. Cependant, nos visiteurs amusiques auraient tout lieu de demeurer perplexes. Il faudrait donc arriver à l’essentiel et leur dire finalement ceci. Oui, il y a des plaisirs propres à la musique, des plaisirs qu’elle seule recèle. Oui, nous éprouvons des émotions musicales. […] S’il y a de la musique pour nous, êtres humains de cette planète, c’est d’abord par ce qu’elle nous fait. Elle nous touche. […] Littéralement la musique touche notre corps. Métaphoriquement elle nous émeut, elle touche notre esprit.
QUESTIONS :
– Sur quels arguments l’auteur s’appuie-t-il pour montrer que la musique a une influence sur notre corps et notre esprit ?
– « Oui, nous éprouvons des émotions musicales » (l. 66) : étayez ces propos à l’aide d’arguments et d’exemples de votre choix. Dans votre argumentaire, vous chercherez à montrer que les émotions musicales, loin d’être seulement individuelles, se communiquent et se partagent.