L’Intelligence Artificielle et la médecine
L’Intelligence Artificielle et l’image
L’IA bouscule et inquiète le monde de l’image
L’ex-président américain Donald Trump se débattant avec des policiers, le pape François arborant une doudoune blanche, Emmanuel Macron en pleine manifestation… Alors que des images créées par des intelligences artificielles (IA) circulent sur le Web depuis des mois, ces derniers clichés, nés de la version la plus récente du logiciel de génération d’images Midjourney, ont troublé.
Comme les textes bluffants du logiciel ChatGPT, le réalisme de ces clichés, certes fictifs, a frappé le grand public. Il a aussi créé une onde de choc dans le monde de l’image, désormais inquiet pour l’avenir du travail des photographes et des illustrateurs.
Que des sites de presse s’emparent de cet outil ne les a pas rassurés. Le Figaro s’est, par exemple, servi, le 26 mars, de Midjourney pour l’illustration d’un article Web, avant de faire machine arrière le lendemain et de la remplacer par une photo.
Stratégies opposées
Le mensuel So Foot assume, lui, d’utiliser le logiciel par défaut, faute de moyens financiers, s’il ne trouve pas de photo satisfaisante. « Sur 6 000 contenus publiés depuis novembre [2022], on s’est servi de Midjourney une douzaine de fois, en le spécifiant », relativise Pierre Maturana, directeur de la rédaction.
« On est un minimédia, avec des minimoyens », abonde Pablo Pillaud-Vivien, le rédacteur en chef de la revue Regards, qui recourt aussi à l’IA. Le quotidien suisse Blick a également franchi le pas, le 25 mars, en précisant qu’« aucune des personnes apparaissant sur cette photo générée par une intelligence artificielle n’existe ».
La tendance touche aussi la communication et la publicité : la « une » du dernier Récréa Mag, l’agenda culturel grenoblois, paru en octobre 2022, a été « dessinée » grâce à Midjourney, tout comme l’affiche du Casse-Noisette du San Francisco Ballet, fin 2022. Et, début mars, Coca-Cola a invité les internautes à utiliser Dall-E 2 – un logiciel développé par OpenAI, le créateur de ChatGPT, et concurrent de Midjourney –pour générer des créations dont les meilleures seront utilisées par la marque.
D’autres ont, à l’inverse, déjà posé des limites claires : le quotidien Libération n’utilisera pas « des images générées par des IA, sauf pour des sujets directement liés à l’IA ». Une ligne proche de celle du Monde, où la publication d’images d’actualité produites par des IA est également proscrite. Le New York Times a, lui, signalé dans un bandeau rouge que l’illustration d’un article sur l’IA était… « générée par une IA ».
Dans les puissantes banques d’images se dessinent aussi des stratégies opposées. Getty Images a annoncé, en septembre 2022, qu’il refusait de stocker des photographies créées avec une IA, tandis que Shutterstock a noué un partenariat avec OpenAI dès 2021 : la banque d’images permet l’entraînement du logiciel Dall-E sur sa base de données et met à disposition de ses clients le générateur d’images.
« Fast creation »
L’essor de Midjourney, de Dall-E 2, de Stable Diffusion ou d’Imagen (Google) est, pour certains, « catastrophique » économiquement, selon les termes de Stéphanie Le Cam, directrice de la Ligue des auteurs professionnels. « L’IA risque de faire émerger une “fast creation”, comme la “fast fashion” dans la mode : les prix seront tirés vers le bas, estime la responsable. Les clients demanderont pourquoi payer 500 euros une couverture de livre quand, avec 20 euros d’abonnement mensuel à un logiciel, ils peuvent illustrer toute leur collection. »
« On est doublement perdant, se désole le photojournaliste Boby. On risque de se faire remplacer, et l’on utilise nos photos pour nourrir la base de données d’entraînement de ces logiciels. On a l’impression d’être un buffet à volonté. » Certains artistes connus, comme l’illustrateur de cartes à jouer Magic Greg Rutkowski, se sont même plaints de voir leurs œuvres imitées par les logiciels, qui savent générer une image « dans le style » d’un créateur.
« J’ai trouvé dans Midjourney 22 000 entrées pour des images portant mon nom », s’est aussi révolté sur Facebook Jean-Baptiste Monge. Cet illustrateur, réputé notamment pour ses trolls,est membre d’Egair, un collectif de professionnels qui plaide pour une « régulation » et l’interdiction de l’entraînement d’un logiciel sur des images sans le « consentement » de leur auteur.
De même, Stéphanie Le Cam juge « délirante » l’idée de n’accorder aux artistes qu’un droit à « l’opt-out », car ce dernier autorise l’utilisation de leurs images, sauf s’ils s’y opposent. C’est pourtant le régime qui s’applique, a estimé la Commission européenne, le 31 mars, s’appuyant sur la directive européenne sur le droit d’auteur de 2019. Du côté du ministre français chargé de la transition numérique, Jean-Noël Barrot, on n’est pas fermé à l’idée de nouvelles mesures liées au droit d’auteur dans l’IA, mais pas dans le règlement européen « AI Act » actuellement en discussion.
Enjeu financier et philosophique
Pour beaucoup, dont Thierry Maillard, directeur juridique de l’ADAGP, la société de gestion des droits d’auteur des arts graphiques et plastiques, « se pose la question de la rémunération » des images utilisées pour l’entraînement des IA. L’idée rappelle les « droits voisins » négociés par les médias pour la reprise d’extraits de leurs contenus par Google ou Facebook. Mais que toucherait chaque artiste ?
« Il ne faudrait pas échanger un droit d’auteur contre un droit à rémunération au rabais », met en garde Stéphanie Le Cam, ouverte à des « négociations de cession ». Le contrat entre Shutterstock et OpenAI prévoit ainsi une « rémunération », mais d’un montant inconnu… En attendant, certains invitent éditeurs et médias à refuser les créations d’IA dans une « charte collective ».
A plus long terme, quel sera l’impact de ces logiciels sur l’image ? « On ne peut pas nier que cet outil existe, il doit être utilisé pour impulser une dynamique de création », positive M. Pillaud-Vivien. Adobe, l’éditeur du célèbre logiciel de graphisme Photoshop, a lancé Firefly, présenté comme un assistant à la modification d’image.
Certains ont une vision plus sombre : « Les jeunes voudront-ils encore aller apprendre aux Beaux-Arts ? » s’interroge Stéphanie Le Cam. Pour le photographe suisse Niels Ackermann, « le vrai enjeu n’est pas financier, mais philosophique, c’est le rapport à la réalité ». Et, dans un monde « où le faux pourrait bientôt être partout », les médias pourraient, paradoxalement, renforcer leur « raison d’être » en devenant des refuges où les photographies sont réelles…
Questions :
- Comment sont utilisés les IA génératives d’image dans le domaine journalistique ?
- Qui sont les métiers victimes et qui en paie le prix ?
- Pensez-vous que l’IA peut perturber le monde de l’art ?
L’Intelligence Artificielle et les emplois
L’intelligence artificielle menacerait 4 millions d’emplois en Corée du Sud, 17 novembre 2023, Libération
Surtout parmi les cols blancs, près d’un poste sur cinq pourraient être remplacés par l’IA au cours des deux prochaines décennies dans le pays asiatique, selon une étude publiée jeudi 16 novembre. Un chiffre similaire aux estimations concernant l’Europe. On redoute le phénomène, voici une étude qui quantifie les dégâts possibles. Environ 3,9 millions de travailleurs, principalement les cols blancs, pourraient être remplacés par l’intelligence artificielle d’ici à deux décennies en Corée du Sud, pays à la pointe des nouvelles technologies, selon une analyse de la Banque de Corée publiée jeudi 16 novembre.
Les médecins, avocats, comptables et chimistes seraient parmi les professions les plus touchées. A l’inverse, les personnes les moins susceptibles de perdre leur emploi à cause des progrès technologiques sont celles qui travaillent dans les domaines religieux, de la restauration et de l’enseignement, toujours selon la Banque de Corée.
«Les professionnels à revenus élevés et ayant une formation universitaire élevée sont plus exposés à l’IA et courent un plus grand risque d’être remplacés», synthétisent les auteurs de l’étude. L’IA menace plus directement les emplois de cols blancs, car elle peut plus facilement accomplir ses tâches analytiques et cognitives.
17 % des travailleurs du pays sur la sellette
A l’échelle de la Corée du Sud et de ses 23 millions de travailleurs en 2023 selon Statista, les 3,9 millions d’emplois menacés représentent ainsi pas moins de 17 % des travailleurs. Au niveau mondial, une étude de Goldman Sachs publiée en mars estimait que 300 millions d’emplois dans le monde pourraient faire l’objet d’une automatisation par l’intelligence artificielle. En Europe et aux Etats-Unis, environ deux tiers des emplois actuels seraient «exposés à un certain degré d’automatisation» et l’IA générative pourrait remplacer jusqu’à un quart d’entre eux.
D’autres experts nuancent tout de même ces chiffres, dont la sociologue spécialiste des évolutions du travail Patricia Vendramin. Pour elle, ces «prévisions alarmistes» ne prennent pas suffisamment en compte les «facteurs sociaux et réglementaires», prévenait-elle auprès de Libé en juin. L’experte ajoute que beaucoup d’études du même genre finissent par être infirmées par la réalité.
Le problème du remplacement de l’emploi par l’IA n’en demeure pas moins réel, et n’est pas propre à la Corée du Sud. Il est même déjà très concret en France. En septembre, Libération révélait par exemple la volonté de Onclusive de supprimer 217 de ses 383 postes installés dans l’hexagone – plan depuis reporté. La direction a déclaré qu’elle ne reviendrait pas sur la décision de supprimer des postes, mais qu’elle allait revoir le plan pour répondre aux critiques, dans un message aux salariés.
Si les technologies de l’IA représentent bien une menace pour les emplois existants, elles créent également de nouvelles opportunités, souligne le rapport de la Banque de Corée. En bénéficient notamment les ingénieurs qui développent et entretiennent des systèmes d’IA, ainsi que les start-ups gravitant autour. La Banque de Corée admet tout de même certaines limites à ce report de l’emploi, avec des nouveaux postes «concentrés» dans un domaine spécifique, et «certains employés (qui) pourraient rencontrer des difficultés dans le processus de transition professionnelle provoqué par l’introduction de l’IA».
Une récente enquête du World Economic Forum sur l’avenir des métiers estime qu’en raison de l’intelligence et des autres évolutions, 83 millions d’emplois devraient être «éliminés» et 69 millions créés d’ici à 2027.
- Qui, d’après cette étude, sont les plus menacés ?
- Pourquoi ces prévisions sont alarmistes ? Qu’est-ce qui, selon-vous et ce texte, peut limiter le remplacement par l’IA ?
Emploi : l’intelligence artificielle va-t-elle piquer mon job ? IA : de l’inquiétude dans l’air, Anne-Sophie Lechevalier pour Libération, 19 juin 2023
Présentée par les plus alarmistes comme le fossoyeur de centaines de millions d’emplois, l’intelligence artificielle pourrait surtout modifier les tâches et bouleverser certaines professions plutôt que de les faire disparaître.
Maintes fois annoncée, la fin du travail se fait attendre. Mais cette fois, ce serait la bonne. La dernière vague d’innovation, celle de l’intelligence artificielle (IA) et en particulier l’IA générative, réussirait là où l’informatique, les premiers robots, ou encore Internet ont échoué. Elle remplacerait l’être humain en occupant une partie des emplois qu’il exerce aujourd’hui. C’est du moins ce que laissent penser la pluie d’études sur le sujet, toutes plus alarmistes les unes que les autres.
A les lire, ce serait ainsi 300 millions d’emplois dans le monde qui disparaîtraient ou seraient très affectés à la suite de l’essor avec l’IA générative, des emplois victimes de l’automatisation, affirme Goldman Sachs dans une analyse prospective publiée en mars, à condition toutefois que l’IA générative «offre les capacités promises». En Europe et aux Etats-Unis, environ deux tiers des emplois actuels seraient exposés et l’IA générative pourrait se substituer à un quart du travail. Une récente enquête du Forum de Davos sur l’avenir des métiers estime, elle, qu’en raison de l’IA et des autres évolutions, 83 millions d’emplois devraient être «éliminés» et 69 millions créés d’ici à 2027. Quand les salariés, dirigeants ou pas, sont interrogés, ils se montrent pourtant moins pessimistes qu’il y a cinq ans, selon le sondage réalisé auprès de 13 000 personnes dans 13 pays par le Boston Consulting Group, même s’ils sont 36 % à penser tout de même que leur emploi est susceptible de disparaître à cause de l’IA, une proportion qui atteint 42 % en France.
Une autre étude, réalisée cette fois par l’entreprise OpenAI, celle derrière ChatGPT, avec l’université de Pennsylvanie, conclut qu’aux Etats-Unis, environ 80 % de la main-d’œuvre pourrait voir au moins 10 % de ses tâches affectées par les différents GPT (l’acronyme anglais de «transformeur génératif pré-entraîné», le modèle de langage que développent OpenAI et d’autres) et que pour environ 19 % des travailleurs, au moins 50 % des tâches qu’ils effectuent aujourd’hui seraient concernées. «L’influence s’étend à tous les niveaux de salaire, les emplois à revenu élevé étant potentiellement plus exposés», soulignent les auteurs.
Exercice rituel assorti à ces travaux, l’inventaire à la Prévert des professions potentiellement les plus bouleversées. Pour Open AI, il s’agit des interprètes et des traducteurs, des poètes, des paroliers, des mathématiciens, des écrivains, des communicants, de certains analystes financiers… Pour Goldman Sachs, les secteurs administratifs, juridiques, de l’architecture et de l’ingénierie, de la santé, de l’éducation, de l’art et des médias seraient les plus chamboulés tandis qu’à l’inverse, la construction, l’installation, la maintenance ou les transports seraient davantage préservés. En France, les effets de l’IA ne sont mentionnés qu’une seule fois dans le document sur les métiers en 2030 établi par la Dares, le service de statistiques du ministère du Travail, à propos des banques et des assurances. Dans ce secteur, des «réductions d’emplois substantielles» sont prévues, avec une baisse des effectifs de 12 % de 2019 à 2030, à tous niveaux de qualification. Des coupes liées, entre autres raisons, à la numérisation et aux investissements dans l’IA «susceptibles d’accélérer les gains de productivité et donc d’amplifier les destructions d’emplois».
Des prévisions «en parties vraies, mais en grande partie fausses»
Depuis son bureau de l’université de Louvain, en Belgique, la professeure Patricia Vendramin, sociologue spécialiste des évolutions du travail, considère ces données parfois spectaculaires avec circonspection. «Les études «coup de poing» se succèdent depuis 2013, observe-t-elle. Ces prévisions alarmistes inquiètent inutilement, elles répondent à une vision déterministe du changement technologique, alors que le volume d’emploi qui sera affecté dépendra largement de facteurs sociaux et réglementaires. Elles sont en partie vraies, mais en grande partie fausses.» Elle a pu constater que depuis les années 80 et le développement des microprocesseurs, beaucoup d’études étaient infirmées par la réalité, souvent «elles surestiment le rythme de diffusion et sous-estiment les facteurs organisationnels».
L’économiste du travail Philippe Askenazy dresse un constat similaire en s’adressant aux professeurs de sciences économiques et sociales de l’académie de Lyon auxquels, ce mercredi de mai, il dispense par visioconférence une formation sur ce sujet (à laquelle Libération a assisté). «L’usage de l’IA s’accroît de manière nette, mais on ne sait pas encore s’il a des conséquences significatives, signale ce directeur de recherches au CNRS. Les prédictions des années 2010 sur l’IA, celle de Frey et Osborne par exemple qui affirmait qu’environ la moitié des emplois seraient fortement menacés d’ici quinze à vingt ans, étaient inexactes. Il faut regarder la réalité du travail réalisé par personne, si les tâches étaient automatisables ou pas, et là, on obtient des chiffres nettement plus bas. Il existe très peu d’emplois individuels où toutes les tâches peuvent être remplacées par l’IA. Les spécialistes de l’imagerie médicale, les oncologues vont être concernés, mais ils ne vont pas disparaître.»
Un avis partagé par Edi Prifti, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui justement, travaille sur l’utilisation de l’IA pour aider les cardiologues à détecter les arythmies mortelles, en repérant les anomalies sur les électrocardiogrammes. «L’IA détecte des variations minimes qu’un être humain ne verrait pas, explique-t-il. Dans ce cas, loin d’entraîner la disparition des cardiologues et des pharmacologues, je pense qu’elle va permettre de créer de nouveaux métiers. C’est la même chose pour les radiologues qui vont disposer d’un outil qui va les aider à mieux détecter des éléments imperceptibles, ils pourront traiter plus efficacement davantage de patients. Ce changement de paradigme pour la médecine est comparable à celui consécutif à l’arrivée du microscope.» Il estime que «le chemin reste encore long» avant que ces innovations soient adoptées dans la vie de tous les jours, en raison des études cliniques à mener, mais aussi des réticences initiales d’une partie des médecins.
A bientôt 90 ans, l’économiste américain Edmund Phelps, prix Nobel en 2006, estime qu’il «est un peu prématuré de penser que tout le travail va disparaître». Ce spécialiste du travail et de l’innovation, de passage à Paris à l’occasion de la parution de ses mémoires (1), ajoute : «Beaucoup de choses ne seront pas bouleversées par ces développements extraordinaires. Cela dit, j’ai le sentiment que cela créera de grandes opportunités pour de minuscules parties de la population tout en ayant des effets négatifs pour de grandes parties de la population. Mais un imprévu peut surgir et changer complètement la distribution des effets.»
«Flou sur la règlementation»
Si les débats sur les effets de l’IA ne datent pas de la popularisation de ChatGPT cet hiver, cette application leur a redonné de la vigueur. «Pour le moment, il s’agit de la période de frénésie avec des acteurs privés qui exercent un rôle prépondérant. Cela suscite autant l’enthousiasme des uns que l’effroi des autres, décrypte Patricia Vendramin. Nous sommes proches d’un point de basculement, quand les institutionnels interviennent, en donnant un cadre de régulation. Une phase de maturité peut alors s’enclencher.» Des chiffres chocs à relativiser, considère Philippe Askenazy : «il existe un intérêt pour que l’IA fasse de plus en plus le buzz. Les acteurs comme Chat GPT souhaitent que toutes les entreprises utilisent leur technologie, et pour cela ils ont intérêt à ce qu’une régulation soit très rapidement mise en place afin de pouvoir la déployer. Tant que subsiste un flou sur la réglementation, cela représente un frein pour la diffusion de leur activité.»
Que l’IA ne signe pas la fin du travail ne signifie pas qu’elle n’entraînera aucune conséquence sur aucun métier. «Ce qui est différent avec l’IA, c’est que les innovations touchent davantage les cols blancs que les cols bleus en effectuant des tâches comme la rédaction ou le codage», constate Patricia Vendramin. Une partie des tâches devrait se faire plus vite et la productivité devrait augmenter. Pour d’autres tâches, la technologie n’arrivera pas à la hauteur des salariés, à en croire Anna Milanez. Cette économiste à l’OCDE a examiné, dans huit pays, une centaine d’entreprises de la finance et de l’industrie manufacturière où les technologies de l’IA sont mises en œuvre. «Certains emplois seront toujours mieux réalisés par les humains, comme ceux qui impliquent de l’empathie, des interactions sociales et certains types de prise de décision», relève son étude publiée en mars.
Plus que les disparitions d’emplois, Philippe Askenazy redoute que cette technologie soit «utilisée comme une menace par des employeurs qui se concentreraient sur la surveillance accrue plutôt que sur la hausse de la production». L’économiste ajoute : «Ils peuvent dire aux salariés : «Si vous ne vous comportez pas bien, vous serez remplacés par une machine.» Ce n’est pas une technologie pour libérer le travail. Elle risque d’avoir plus de conséquences sur la répartition de la valeur que sur le niveau d’emploi.»
D’autres effets, moins négatifs, sont aussi anticipés. Anna Milanez mentionne la «réduction de la pénibilité» parmi les «améliorations de la qualité de l’emploi associées à l’IA». Cette technologie devrait également créer des métiers. «Il faut avoir aussi conscience que la nomenclature des métiers n’est pas figée, 60 % des métiers exercés aujourd’hui n’existaient pas avant 1940», rappelle Patricia Vendramin.L’entraînement intensif de ces «intelligences» devrait engendrer de nouvelles activités. «Ces technologies reposent sur des heures de travail», observe Philippe Askenazy. Une bonne nouvelle, mais seulement à première vue. Le magazine Time a, en effet, révélé comment OpenAI sous-traitait la modération à des travailleurs au Kenya payés deux dollars de l’heure. Reste à savoir aussi si les créations d’emplois seront plus nombreuses que les destructions.
Et si les IA génératives ouvraient des perspectives inattendues sur le temps de travail ? C’est ce que suggère le professeur de la London School of Economics Christopher Pissarides. Nobel lui aussi, spécialisé dans les effets de l’automatisation sur le travail, il a déclaré à l’agence Bloomberg début avril qu’il était «très optimiste sur le fait que nous pourrions augmenter la productivité» avec ces IA génératives qui «pourraient enlever beaucoup de choses ennuyeuses que nous faisons au travail…». L’occasion «d’augmenter notre bien-être en général grâce au travail», «de prendre plus de loisirs», et même de «facilement passer à une semaine de quatre jours». Fa-ci-le-ment.
(1) «Mon voyage dans les théories économiques», ed. Odile Jacob.
Questions :
- Résumez l’idée de cet article
- Pourquoi, selon-vous, les analyses sont souvent très négatives ?
- Sauriez-vous dire à quel autre moment nous avons eu peur de nous faire remplacer et qu’il n’y ait plus de travail ?