I – Roald Dahl, Charlie et la Chocolaterie (1964)
Toute cette gentille famille – les six grandes personnes (comptez-les !) et le petit Charlie Bucket – vivait réunie dans une petite maison de bois, en bordure d’une grande ville. La maison était beaucoup trop petite pour abriter tant de monde et la vie y était tout sauf confortable. Deux pièces seulement et un seul lit. Ce lit était occupé par les quatre grands-parents, si vieux, si fatigués. Si fatigués qu’ils n’en sortaient jamais.
D’un côté, grand-papa Joe et grand-maman Joséphine. De l’autre, grand-papa Georges et grand-maman Georgina. Quant à Charlie Bucket et à ses parents, Mr. et Mrs. Bucket, ils dormaient dans l’autre pièce, par terre sur des matelas.
En été, ce n’était pas bien grave. Mais en hiver, des courants d’air glacés balayaient le sol toute la nuit. Et cela c’était effrayant. Pas question d’acheter une maison plus confortable, ni même un autre lit. Ils étaient bien trop pauvres pour cela. Mr. Bucket était le seul, dans cette famille, à avoir un emploi. Il travaillait dans une fabrique de pâte dentifrice.
Assis sur un banc, il passait ses journées à visser les petits capuchons sur les tubes de dentifrice. Mais un visseur de capuchons sur tube de dentifrice est toujours très mal payé, et le pauvre Mr. Bucket avait beau travailler très dur et visser ses capuchons à toute vitesse, il ne parvenait jamais à gagner assez pour acheter seulement la moitié de ce qui aurait été indispensable à une si nombreuse famille. Pas même assez pour nourrir convenablement tout ce petit monde. Rien que du pain et de la margarine pour le petit déjeuner, des pommes de terre bouillies et des choux pour le déjeuner, et de la soupe aux choux pour le repas du soir. Le dimanche, ils mangeaient un peu mieux. C’est pourquoi ils attendaient toujours le dimanche avec impatience. Car ce jour, bien que le menu fût exactement le même, chacun avait droit à une seconde portion.
Bien sûr, les Bucket ne mouraient pas de faim, mais tous – les deux vieux grands-pères,
les deux vieilles grands-mères, le père de Charlie, la mère de Charlie, et surtout le petit Charlie lui-même – allaient et venaient du matin au soir avec un sentiment de creux terrible dans la région de l’estomac.
Et c’est Charlie qui le ressentait plus fort que tous les autres. Ses parents avaient beau se priver souvent de déjeuner ou de dîner pour lui abandonner leur part, c’était toujours insuffisant pour un petit garçon en pleine croissance. Il réclamait désespérément quelque chose de plus nourrissant, de plus réjouissant que des choux et de la soupe aux choux. Mais ce qu’il désirait par-dessus tout, c’était… du CHOCOLAT.
En allant à l’école, le matin, Charlie pouvait voir les grandes tablettes de chocolat empilées dans les vitrines. Alors, il s’arrêtait, les yeux écarquillés, le nez collé à la vitre, la bouche pleine de salive. Plusieurs fois par jour, il pouvait voir les autres enfants tirer de leurs poches des bâtons de chocolat pour les croquer goulûment. Ce qui, naturellement, était pour lui une véritable torture.
Une fois par an seulement, le jour de son anniversaire, Charlie Bucket avait droit à un peu de chocolat. Toute la famille faisait des économies en prévision de cette fête exceptionnelle et, le grand jour arrivé, Charlie se voyait offrir un petit bâton de chocolat, pour lui tout seul. Et à chaque fois, en ce merveilleux matin d’anniversaire, il plaçait le bâton avec soin dans une petite caisse de bois pour le conserver précieusement comme une barre d’or massif ; puis, pendant quelques jours, il se contentait de le regarder sans même oser y toucher. Puis, enfin, quand il n’en pouvait plus, il retirait un tout petit bout de papier, du coin, découvrant un tout petit bout de chocolat, et puis il prenait ce petit bout, juste de quoi grignoter, pour le laisser fondre doucement sur sa langue. Le lendemain, il croquait un autre petit bout, et ainsi de suite, et ainsi de suite. C’est ainsi que Charlie faisait durer plus d’un mois le précieux cadeau d’anniversaire qu’était ce petit bâton de chocolat à deux sous.
Mais je ne vous ai pas encore dit ce qui torturait plus que tout autre chose l’amateur de chocolat qu’était le petit Charlie. Et cette torture-là était bien pire que la vue des tablettes de chocolat dans les vitrines ou le spectacle des enfants qui croquaient leurs confiseries sous son nez. Vous n’imaginerez pas de plus monstrueux supplice : Dans la ville même, bien visible depuis la maison où habitait Charlie, se trouvait une ENORME CHOCOLATERIE ! Imaginez un peu !
Et ce n’était même pas une chocolaterie ordinaire. C’était la plus importante et la plus célèbre du monde entier ! C’était la CHOCOLATERIE WONKA, propriété d’un monsieur nommé Willy Wonka, le plus grand inventeur et fabricant de chocolat de tous les temps. Et quel endroit merveilleux, fantastique ! De grandes portes de fer, un haut mur circulaire, des cheminées crachant des paquets de fumée, d’étranges sifflements venant du fond du bâtiment. Et dehors, tout autour des murs, dans un secteur de près d’un kilomètre, l’air embaumait d’un riche et capiteux parfum de chocolat fondant !
Deux fois par jour, sur le chemin de l’école, puis au retour, le petit Charlie Bucket passait
devant les portes de la chocolaterie. Et chaque fois, il se mettait à marcher très très
lentement, le nez en l’air, pour mieux respirer cette délicieuse odeur de chocolat qui flottait autour de lui.
Oh ! comme il aimait cette odeur ! Et comme il rêvait de faire un tour à l’intérieur de la chocolaterie, pour voir à quoi elle ressemblait !
Questions :
– Comment Roald Dahl met-il en évidence l’importance pour les enfants du chocolat ?
II – Michel Pearl, “Sucrerie et friandise : quand la gourmandise s’émancipe du péché” (2019)
L’augmentation de la consommation des produits sucrés en France au XIXe siècle est fulgurante et indissociable des nombreuses évolutions de son temps. Les bouleversements sociaux enrichissent la haute bourgeoisie et lui donnent le pouvoir, favorisant ainsi la création, en France, d’un régime économique plus productif. Les avancées techniques issues de la Révolution industrielle, dont le développement massif du chemin de fer tout au long de la deuxième moitié du siècle, favorisent la circulation des marchandises et, par voie de conséquence, le développement de régimes alimentaires de plus en plus variés dans toutes les classes sociales, particulièrement en zone urbaine. Le moment passé à table commence à se défaire de la simple idée de subsistance et devient petit à petit synonyme de plaisir, notamment lorsqu’il s’agit de manger sucré. Ce luxe, de plus en plus accessible grâce à la chute des prix, conséquence de l’implantation massive de raffineries travaillant la betterave en France, favorise dans la vie des Français la présence de produits sucrés, présents lors de festivités religieuses, mais également lors des événements familiaux. Ces friandises s’éloignent peu à peu de la symbolique chrétienne pour répondre à une conception purement gourmande, qui favorise la présence de plus en plus marquée des produits sucrés dans le quotidien des foyers. Ce phénomène est favorisé par le développement de la publicité et des outils de propagande que sont l’affiche, le slogan et le cadeau promotionnel, ce dernier étant particulièrement adapté au nouveau consommateur potentiel qu’est l’enfant. La publicité joua un rôle décisif dans l’évolution de la perception de la gourmandise, en contribuant à la libérer de la notion de péché qui l’emprisonnait depuis si longtemps. Langage du capitalisme, religion de la nouvelle classe bourgeoise dominante, la publicité ne peut donc pas être séparée de cette évolution des mentalités qui laisse le dogme2 religieux de côté et libère le choix individuel, lui permettant de s’adonner à toutes sortes de consommations, dont celle, gourmande, de produits sucrés, sans pour autant faire l’objet d’un jugement propre, social ou divin. Depuis le Moyen Âge et durant de nombreux siècles, l’Église comptait et punissait en France sept péchés capitaux, dont la « gula3 » ; le XIXe siècle allait faire de cette dernière une partie intégrante et assumée d’un système capitaliste naissant.
Questions
Quels facteurs ont permis le succès grandissant des sucreries ?
III – Comtesse de Ségur – Les malheurs de sophie (1858)
Après le dîner, Mme de Réan appela les enfants.
« Nous allons enfin ouvrir le fameux paquet, dit-elle, et goûter à nos fruits confits. Paul, va me chercher un couteau pour couper la ficelle. » Paul partit comme un éclair et rentra presque au même instant, tenant un couteau, qu’il présenta à sa tante.
Mme de Réan coupa la ficelle, défit les papiers qui enveloppaient les fruits, et découvrit douze boîtes de fruits confits et de pâtes d’abricots.
« Goûtons-les pour voir s’ils sont bons, dit-elle en ouvrant une boîte. Prends-en deux, Sophie ; choisis ceux que tu aimeras mieux. Voici des poires, des prunes, des noix, des abricots, du cédrat, de l’angélique. »
Sophie hésita un peu ; elle examinait lesquels étaient les plus gros ; enfin elle se décida pour une poire et un abricot. Paul choisit une prune et de l’angélique. Quand tout le monde en eut pris, la maman ferma la boîte, encore à moitié pleine, la porta dans sa chambre et la posa sur le haut d’une étagère. Sophie l’avait suivie jusqu’à la porte.
En revenant, Mme de Réan dit à Sophie et à Paul qu’elle ne pourrait les mener promener, parce qu’elle devait faire une visite dans le voisinage.
« Amusez-vous pendant mon absence, mes enfants ; promenez-vous, ou restez devant la maison, comme vous voudrez. »
Et, les embrassant, elle monta en voiture avec M. et Mme d’Aubert et M. de Réan.
Les enfants restèrent seuls et jouèrent longtemps devant la maison. Sophie parlait souvent des fruits confits.
« Je suis fâchée, dit-elle, de n’avoir pas pris d’angélique ni de prune ; ce doit être très bon.
– Oui, c’est très bon, répondit Paul, mais tu pourras en manger demain ; ainsi n’y pense plus, crois-moi, et jouons. »
Ils reprirent leur jeu, qui était de l’invention de Paul. […]
Hélas ! Sophie pensait aux fruits confits, à l’angélique, aux prunes ; elle regrettait de ne pas pouvoir en manger encore, de n’avoir pas goûté à tout.
« Demain, pensa-t-elle, maman m’en donnera encore ; je n’aurai pas le temps de bien choisir. Si je pouvais les regarder d’avance, je remarquerais ceux que je prendrai demain… Et pourquoi ne pourrais-je pas les regarder ? Je n’ai qu’à ouvrir la boîte. »
Voilà Sophie, bien contente de son idée, qui court à la chambre de sa maman et qui cherche à atteindre la boîte ; mais elle a beau sauter, allonger le bras, elle ne peut y parvenir ; elle ne sait comment faire ; elle cherche un bâton, une pincette6, n’importe quoi, lorsqu’elle se tape le front avec la main en disant :
« Que je suis donc bête ! je vais approcher un fauteuil et monter dessus ! »
Sophie tire et pousse un lourd fauteuil tout près de l’étagère, grimpe dessus, atteint la boîte, l’ouvre et regarde avec envie les beaux fruits confits. « Lequel prendrai-je demain ? » dit-elle. Elle ne peut se décider : c’est tantôt l’un, tantôt l’autre. Le temps se passait pourtant ; Paul allait bientôt revenir.
« Que dirait-il s’il me voyait ici ? pensa-t-elle. Il croirait que je vole les fruits confits, et pourtant je ne fais que les regarder… J’ai une bonne idée : si je grignotais un tout petit morceau de chaque fruit, je saurais le goût qu’ils ont tous, je saurais lequel est le meilleur, et personne ne verrait rien, parce que j’en mordrais si peu que cela ne paraîtrait pas. »
Et Sophie mordille un morceau d’angélique, puis un abricot, puis une prune, puis une noix, puis une poire, puis du cédrat, mais elle ne se décide pas plus qu’avant.
« Il faut recommencer », dit-elle.
Elle recommence à grignoter, et recommence tant de fois, qu’il ne reste presque plus rien dans la boîte.
Questions :
À quoi la gourmandise de Sophie la pousse-t-elle ?
IV – Renaud – Mistral Gagnant
Ah… M’asseoir sur un banc, cinq minutes, avec toi
Et regarder les gens tant qu’y en a
Te parler du bon temps, qui est mort ou qui r’viendra
En serrant dans ma main tes p’tits doigts
Pis donner à bouffer à des pigeons idiots
Leur filer des coups d’pied pour de faux
Et entendre ton rire qui lézarde les murs
Qui sait surtout guérir mes blessures
Te raconter un peu comment j’étais minot
Les bombecs fabuleux qu’on piquait chez l’marchand
Car-en-sac et Mintho, caramels à un franc
Et les Mistral gagnants
Ah… Marcher sous la pluie, cinq minutes, avec toi
Et regarder la vie, tant qu’y en a
Te raconter la Terre en te bouffant des yeux
Te parler de ta mère, un p’tit peu
Et sauter dans les flaques pour la faire râler
Bousiller nos godasses et s’marrer
Et entendre ton rire comme on entend la mer
S’arrêter, repartir en arrière
Te raconter surtout les Carambar d’antan et les Coco Boer
Et les vrais roudoudous qui nous coupaient les lèvres
Et nous niquaient les dents
Et les Mistral gagnants
Ah… M’asseoir sur un banc, cinq minutes, avec toi
Regarder le soleil qui s’en va
Te parler du bon temps, qu’est mort et je m’en fous
Te dire que les méchants, c’est pas nous
Que si moi je suis barge, ce n’est que de tes yeux
Car ils ont l’avantage d’être deux
Et entendre ton rire s’envoler aussi haut
Que s’envolent les cris des oiseaux
Te raconter, enfin, qu’il faut aimer la vie
L’aimer même si le temps est assassin et emporte avec lui
Les rires des enfants
Et les Mistral gagnants
Et les Mistral gagnants.
Questions :
Quels sentiments émergent avec les souvenirs des bonbons de l’enfance ?
V – Marcel Proust – Du côté de chez Swan (1913)
Il y avait déjà bien des années que, de Combray7, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai8. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. […]
Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles9 mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.
Et dès que j’eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre s’appliquer au petit pavillon, donnant sur le jardin, qu’on avait construit pour mes parents sur ses derrières (ce pan tronqué que seul j’avais revu jusque-là) ; et avec la maison, la ville, depuis le matin jusqu’au soir et par tous les temps, la Place où on m’envoyait avant déjeuner, les rues où j’allais faire des courses, les chemins qu’on prenait si le temps était beau.
Questions :
Comment la madeleine permet-elle le surgissement du souvenir ?
QUESTIONS SUR LE CORPUS
Question 1 : documents 2 et 3
Le point de vue de la comtesse de Ségur sur les friandises s’oppose-t-il à celui de Renaud ?
Question 3 : documents 1, 2 et 3
Pourquoi les friandises sont-elles associées à l’univers de l’enfance ?
EXERCICE D’ÉCRITURE
Décrivez en une quinzaine de lignes un souvenir de votre enfance lié à une sucrerie. Il peut être inventé.