Un moment festif

I – La fête des voisins – Le pourquoi du comment, France Bleu

Pourquoi la fête des voisins a-t-elle été créée ? 

Ce moment festif né d’un fait divers tragique vécu par Atanase Périfan. “J’avais découvert une de mes voisines âgées qui était morte depuis quatre mois dans son appartement, explique le Parisien. C’était un vrai choc de se dire ce qui se cache derrière l’épaisseur des murs de nos maisons, de nos immeubles, avec des détresses que l’on ne voit pas. Je me suis dit ‘Il faut trouver un prétexte, un moyen pour aller voir ce qui se passe’. Plutôt que d’aller frapper à chaque porte et dire ‘Bonjour, est-ce vous allez bien?’, je me suis dit on va plutôt leur proposer de se retrouver dans le hall, la cour, dans le jardin et la fête des voisins est née ainsi.” 

C’était en l’an 2000. Depuis, la fête des voisins est devenue l’un des événements citoyen les plus importants en France. Un moment festif connu par 94 % des français. 

Est-ce que la fête des voisins rencontre le succès ? 

Neuf millions de Français vont passer la soirée entre voisins ce soir autour d’un barbecue ou dans le square du quartier et on compte plus de 750 rendez-vous dans l’Yonne. “Elles sont partout, dans toutes les villes et les villages de l’Yonne. À Auxerre, Sens, Avallon, Paron, Joigny, Appoigny, Brienon sur Armançon, Migennes, Tonnerre” relate Atanase Périfan. 

30 millions de personnes participent à cette fête à travers le monde. Car la fête des voisins est passée de française à européenne en 2003 puis à mondiale en 2007. On se retrouve aujourd’hui dans son quartier à travers 36 pays, le Japon, le Togo ou le Canada, sur les 5 continents.  

La fête des voisins améliore-t-elle les relations de voisinage ? 

C’est vrai que 73% des Français ont déjà rencontré de gros soucis avec leurs voisins. Dans l’ordre, ils sont gênés par les nuisances sonores, surtout la nuit, par les disputes des voisins, par leur stationnement gênant, par leurs ébats amoureux et par leurs animaux envahissants. Alors, la fête des voisins ne peut pas tout changer, mais elle semble améliorer les relations de voisinage selon Atanase Périfan. “On voit le voisin à travers un autre regard. Il peut devenir un ami. 83% des Français sont prêts à rendre service à un voisin, une personne âgée, à s’entraider. C’est réjouissant.” 

Même constat à Saint-Georges sur Baulche à côté d’Auxerre où depuis six ans, Alain et quelques amis organisent la fête des voisins avec une cinquantaine de participants. Le constat est frappant: “On a vu la différence, du jour où on a fait la fête des voisins, les gens se parlaient au centre commercial” raconte le retraité. Avant, ils n’osaient pas se tailler la bavette. Même moi, il y a des gens à qui j’osais à peine adresser la parole, désormais, ce sont des amis, des copains!” 

Y a-t-il de belles histoires lors de ces fêtes des voisins ? 

Oui car 59% des Français déclarent avoir tissé une véritable relation amicale avec leurs voisins. 20 % ont déjà eu une relation de cœur avec et 5% se sont mis en couple. Atanase Périfan évoque “des mariages en pagaille, des rencontres amoureuses dans les immeubles et lotissements, un chômeur qui a retrouvé du travail grâce à un voisin, une mère de famille, célibataire, qui élève seule son enfant handicapé. Personne ne le savait et aujourd’hui, deux ou trois mamans l’aident.” Et puis, je ne sais pas si c’est votre cas, mais 39% des français ont déjà fantasmé sur leur voisin (ou voisine) ! 

Questions :

– Quel est l’intérêt principal de la fête des voisins ?

– Pourquoi, selon-vous, l’élément central de la fête des voisins est la nourriture ?




Laurent Gaudé – Le soleil des Scorta, 2004 

Ils étaient une quinzaine à table et ils se regardèrent un temps, surpris de constater à quel point le clan avait grandi. Raffaele rayonnait de bonheur et de gourmandise. Il avait tant rêvé de cet instant. Tous ceux qu’il aimait étaient là, chez lui, sur son trabucco1. Il s’agitait d’un coin à un autre, du four à la cuisine, des filets de pêche à la table, sans relâche, pour que chacun soit servi et ne manque de rien. 

Ce jour resta gravé dans la mémoire des Scorta. Car pour tous, adultes comme enfants, ce fut la première fois qu’ils mangeaient ainsi. L’oncle Faelucc’ avait fait les choses en grand. Comme antipasti2, Raffaele et Guiseppina apportèrent sur la table une dizaine de mets. Il y avait des moules grosses comme le pouce, farcies avec un mélange à base d’œufs, de mie de pain et de fromage. Des anchois marinés dont la chair était ferme et fondait sous la langue. Des pointes de poulpes. Une salade de tomates et de chicorée. Quelques fines tranches d’aubergine grillées. Des anchois frits. On se passait les plats d’un bout à l’autre de la table. Chacun piochait avec le bonheur de n’avoir pas à choisir et de pouvoir manger de tout. 

Lorsque les assiettes furent vides, Raffaele apporta sur la table deux énormes saladiers fumants. Dans l’un, les pâtes traditionnelles de la région : les troccoli à l’encre de seiche. Dans l’autre, un risotto aux fruits de mer. Les plats furent accueillis avec un hourra général qui fit rougir la cuisinière. C’est le moment où l’appétit est ouvert et où l’on croit pouvoir manger pendant des jours. Raffaele posa également cinq bouteilles de vin du pays. Un vin rouge, rugueux, et sombre comme le sang du Christ. La chaleur était maintenant à son zénith. Les convives étaient protégés du soleil par une natte de paille, mais on sentait, à l’air brûlant, que les lézards eux-mêmes devaient suer. 

Les conversations naissaient dans le brouhaha des couverts – interrompues par la question d’un enfant ou par un verre de vin qui se renversait. On parlait de tout et de rien. Guiseppina racontait comment elle avait fait les pâtes et le risotto. Comme si c’était encore un plaisir plus grand de parler de nourriture lorsque l’on mange. On discutait. On riait. Chacun veillait sur son voisin, vérifiant que son assiette ne se vide jamais. 

Lorsque les grands plats furent vides, tous étaient rassasiés . Ils sentaient leur ventre plein. Ils étaient bien. Mais Raffaele n’avait pas dit son dernier mot. Il apporta en table cinq énormes plats remplis de toute sorte de poissons pêchés le matin même. Des bars, des dorades. Un plein saladier de calamars frits. De grosses crevettes roses grillées au feu de bois. Quelques langoustines même. Les femmes, à la vue des plats, jurèrent qu’elles n’y toucheraient pas. Que c’était trop. Qu’elles allaient mourir. Mais il fallait faire honneur à Raffaele et Guiseppina. Et pas seulement à eux. À la vie également qui leur offrait ce banquet qu’ils n’oublieraient jamais. 

Questions :

De quelle manière ce repas abondant devient-il l’occasion de célébrer le bonheur familial ? 

1Trabbuco : ponton en bois
2Antipasti : hors d’oeuvre


Emile Zola – L’assomoir (1877) 

Par exemple, il y eut là un fameux coup de fourchette: c’est-à-dire que personne de la société ne se souvenait de s’être jamais collé une pareille indigestion sur la conscience. Gervaise, énorme, tassée sur les coudes, mangeait de gros morceaux de blanc3, ne parlant pas, de peur de perdre une bouchée; et elle était seulement un peu honteuse devant Goujet4, ennuyée de se montrer ainsi, gloutonne comme une chatte. Goujet, d’ailleurs, s’emplissait trop lui-même, à la voir toute rose de nourriture. Puis, dans sa gourmandise, elle restait si gentille et si bonne! Elle ne parlait pas, mais elle se dérangeait à chaque instant, pour soigner le père Bru et lui passer quelque chose de délicat sur son assiette. C’était même touchant de regarder cette gourmande s’enlever un bout d’aile de la bouche, pour le donner au vieux, qui ne semblait pas connaisseur et qui avalait tout, la tête basse, abêti de tant bâfrer, lui dont le gésier avait perdu le goût du pain. Les Lorilleux passaient leur rage sur le rôti; ils en prenaient pour trois jours, ils auraient englouti le plat, la table et la boutique, afin de ruiner la Banban5 du coup. Toutes les dames avaient voulu de la carcasse; 

La carcasse, c’est le morceau des dames. Madame Lerat, madame Boche, madame Putois grattaient des os, tandis que maman Coupeau, qui adorait le cou, en arrachait la viande avec ses deux dernières dents. Virginie, elle, aimait la peau, quand elle était rissolée, et chaque convive lui passait sa peau, par galanterie; si bien que Poisson jetait à sa femme des regards sévères, en lui ordonnant de s’arrêter, parce qu’elle en avait assez comme ça: une fois déjà, pour avoir trop mangé d’oie rôtie, elle était restée quinze jours au lit, le ventre enflé. Mais Coupeau se fâcha et servit un haut de cuisse à Virginie, criant que, tonnerre de Dieu! si elle ne le décrottait6 pas, elle n’était pas une femme. Est-ce que l’oie avait jamais fait du mal à quelqu’un? Au contraire, l’oie guérissait les maladies de rate. On croquait ça sans pain, comme un dessert. Lui, en aurait bouffé toute la nuit, sans être incommodé; et, pour crâner, il s’enfonçait un pilon entier dans la bouche. Cependant, Clémence achevait son croupion, le suçait avec un gloussement des lèvres, en se tordant de rire sur sa chaise, à cause de Boche qui lui disait tout bas des indécences. Ah! nom de dieu! oui, on s’en flanqua une bosse7! Quand on y est, on y est, n’est-ce pas? et si l’on ne se paie qu’un gueuleton par-ci par-là, on serait joliment godiche8 de ne pas s’en fourrer jusqu’aux oreilles. Vrai, on voyait les bedons9 se gonfler à mesure. Les dames étaient grosses. Ils pétaient dans leur peau, les sacrés goinfres! La bouche ouverte, le menton barbouillé de graisse, ils avaient des faces pareilles à des derrières, et si rouges, qu’on aurait dit des derrières de gens riches, crevant de prospérité. 

Questions :

– Relevez les termes qui montrent combien les différents convives mangent avec excès.
– Pourquoi, au milieu du repas, Coupeau se fâche-t-il contre Virginie?
– Expliquez le passage suivant: «Vrai, on voyait les bedons se gonfler à mesure. Les dames étaient grosses. Ils pétaient dans leur peau, les sacrés goinfres!»

3 Blancs de poulet
4 Goujet : ami de Gervaise, qui nourrit pour elle une passion cachée
5 Banban : surnom moqueur donné à Gervaise
6 Décrottait : dévorait
7 On s’en flanqua une bosse : on mangea avec excès
8Godiche : idiot
9 Bedons : ventres

IV – Janick Auberger – L’antiquété est une fête (2022) 

Un banquet, «repas d’apparat1, rassemblant de nombreux convives pour célébrer un événement important», s’il faut garder la définition du CNRTL, peut prendre de nombreuses formes et dépend malgré tout de l’aisance de ceux qui l’offrent et de leurs habitudes alimentaires. Nous nommerons banquet tout repas collectif qui sort de la modestie et de la routine frugale2 quotidiennes, ce qui nous évitera de les distinguer en fonction de la magnificence de l’événement. En effet, un banquet offert à l’échelle d’une simple famille lors d’un évènement privé (mariage, rite de passage, repas funéraire ou repas d’hospitalité) ou même d’un dème3 grec lors d’un rituel villageois ou d’un quartier (thiases6 en Grèce, corporations artisanales en Grèce et à Rome) est évidemment infiniment plus modeste qu’un banquet offert par un riche évergète4 de l’époque hellénistique1 ou par un Romain prospère de l’époque impériale. On peut néanmoins penser que malgré la différence d’échelle entre ces différents banquets, l’objectif est le même: offrir une fête, réunir les gens autour d’un repas commun, partager un moment de convivialité, c’est se réjouir ensemble, comme nous le faisons de nos jours; mais c’est aussi –plus encore que de nos jours– réaffirmer les liens sociaux, éventuellement en créer de nouveaux, affermir son réseau, dire et montrer à tous sa place dans le groupe et manifester ainsi son appartenance à la structure familiale, redire son identité villageoise, civique, de la plus petite cellule à la plus importante, à une époque où l’oralité et le témoignage direct comptaient davantage que dans notre culture de l’écrit. 

Cet acte tout simple qui consiste à se nourrir avec les autres a une grande importance symbolique, sociale, politique et religieuse, qui insère les convives dans leur communauté et dans le monde tel qu’ils le voient. C’est pourquoi nous retrouvons des banquets à la fois dans la sphère du privé, lors des modestes rites de passages familiaux, et dans la sphère publique, fête des moissons ou banquets offerts par toute une cité lors des fêtes religieuses, par exemple. Cela va du simple sacrifice d’un mouton lors de la présentation d’un nouvel enfant dans une famille grecque (fête des Apatouries), jusqu’à l’«hécatombe», c’est-à-dire le sacrifice d’une centaine de bovins offerts à tous les habitants d’Athènes lors des Panathénées en l’honneur de la déesse tutélaire ou en l’honneur de Zeus à Olympie lors des concours athlétiques (banquet qui pouvait être offert grâce aux fonds publics ou par un riche citoyen dans le cadre de l’hestiasis, contribution onéreuse mais qui lui valait reconnaissance et prestige): ici et là le processus et la commensalité sont les mêmes, quel que soit le luxe déployé. On y développe la philia chez les Grecs, l’amicitia chez les Romains, lien social par excellence. Périclès le disait déjà, par le truchement de Thucydide dans la célèbre oraison funèbre du 1er livre de la Guerre du Péloponnèse: «Pour remèdes à nos fatigues, nous avons assuré à l’esprit les délassements les plus nombreux: nous avons des concours et des fêtes religieuses qui se succèdent toute l’année». Rien de superflu dans ces fêtes, elles sont le signe d’une vie communautaire inextricablement liée à la cité et à son fonctionnement politique, et ce lien traversera toute l’antiquité. Dans tous les cas, le partage de nourriture est essentiel; et parce que les sociétés grecques et romaines sont des sociétés où la religion a une dimension civique (on a pu la considérer comme un élément très efficace de cohésion sociale), la fête –et le banquet qui en est souvent le cœur– se place toujours sous la protection d’une divinité, à qui on va sacrifier au début, et parfois à la fin. À l’échelle de la famille, on peut sacrifier à Hestia, la déesse qui préside au foyer chez les Grecs, aux dieux Lares chez les Romains; une offrande modeste suffit, libation5 de vin, de lait, de miel, gâteau ou galette, ou victime sanglante modeste si le chef de famille le peut. Un petit ex-voto6 de forme animale peut même se substituer aux vraies victimes, l’essentiel étant d’associer la divinité à la fête. D’ailleurs, comment ne pas associer les divinités quand on sait que la fameuse triade méditerranéenne a été généreusement donnée par les dieux: c’est Dionysos/Bacchus qui a appris aux hommes à fabriquer le vin, c’est Déméter/Cérès qui a appris aux hommes à fabriquer le pain, c’est Athéna qui a donné aux hommes l’olive et leur a appris à fabriquer l’huile. À côté d’eux Hermès/Mercure et Artémis/Diane protègent les animaux, sauvages et d’élevage, etc. On peut prendre tous les produits de la terre, on trouvera toujours un dieu gréco-romain qui le patronne. Donc la nourriture a quelque chose de sacré et il convient de le rappeler.

Questions

– Quel est selon Janick Auberger l’objectif commun à tous les banquets qui s’organisent dans la Grèce antique?
– Relevez les exemples que Janick Auberger donne pour illustrer que « Cet acte tout simple qui consiste à se nourrir avec les autres a une grande importance symbolique, sociale, politique et religieuse»
– Pourquoi, dans le culte des divinités, «le partage de nourriture est essentiel» ? 

1Apparât : solennel, cérémonial
2Frugal : simple, peu abondant
3Dème : division territoriale
4Evergète : riche notable grec
5Libation : répandre un liquide pour une divinité
6Ex-voto: offrande festive fait à un Dieu


V – Goscinny et Uderzo – Astérix chez les Helvètes