Camille Pissarro, Montmartre (la nuit) – 1898
Joséphine Baker – « J’ai deux amours » (1930)
On dit qu’au-delà des mers
Là-bas sous le ciel clair
Il existe une cité
Au séjour enchanté
Et sous les grands arbres noirs
Chaque soir
Vers elle s’en va tout mon espoir
J’ai deux amours
Mon pays et Paris
Par eux toujours
Mon coeur est ravi
Ma savane est belle
Mais à quoi bon le nier
Ce qui m’ensorcelle
C’est Paris, Paris tout entier
Le voir un jour
C’est mon rêve joli
J’ai deux amours
Mon pays et Paris
Quand sur la rive parfois
Au lointain j’aperçois
Un paquebot qui s’en va
Vers lui je tends les bras
Et le coeur battant d’émoi
À mi-voix
Doucement je dis “emporte-moi!”
J’ai deux amours
Ton pays et Paris
Par eux toujours
Ton coeur est ravi
Ta savane est belle
Mais à quoi bon le nier
Ce qui m’ensorcelle
C’est Paris, Paris tout entier
Le voir un jour
C’est mon rêve joli
J’ai deux amours
Mon pays et Paris
Questions :
- Montrez en quoi Paris est pour Joséphine Baker, une destination qui suscite le rêve et l’espoir.
- « C’est Paris qui fait la parisienne, qu’importe qu’elle vienne du Nord, ou bien du Midi », chante Joséphine Baker dans « Paris, Paris, Paris ». Pensez-vous qu’il suffise d’habiter Paris pour être parisien ou parisienne ?
Ernest Hemingway – Paris est une fête (1964)
C’était un café plaisant, propre et chaud et hospitalier, et je pendis mon vieil imperméable au portemanteau pour le faire sécher, j’accrochai mon feutre usé et délavé à une patère au-dessus de la banquette, et commandai un café au lait. Le garçon me servit et je pris mon cahier dans la poche de ma veste, ainsi qu’un crayon, et me mis à écrire. J’écrivais une histoire que je situai, là-haut, dans le Michigan, et comme la journée était froide et dure, venteuse, je décrivais dans le conte une journée toute semblable. J’avais assisté successivement à bien des fins d’automne, lorsque j’étais enfant, puis adolescent, puis jeune homme, et je savais qu’il est certains endroits où l’on peut en parler mieux qu’ailleurs. C’est ce que l’on appelle se transplanter, pensai-je, et une transplantation peut être aussi nécessaire aux hommes qu’à n’importe quelle autre sorte de créature vivante. Mais, dans le conte, je décrivais des garçons en train de lever le coude, et cela me donna soif et je commandai un rhum Saint-James. La saveur en était merveilleuse par cette froide soirée et je continuai à écrire, fort à l’aise déjà, le corps et l’esprit tout réchauffés par ce bon rhum de la Martinique.
Une fille entra dans le café et s’assit, toute seule, à une table près de la vitre. Elle était très jolie, avec un visage aussi frais qu’un sou neuf, si toutefois l’on avait frappé la monnaie dans de la chair lisse recouverte d’une peau toute fraîche de pluie, et ses cheveux étaient noirs comme l’aile du corbeau et coupés net et en diagonale à hauteur de la joue.
Je la regardai et cette vue me troubla et me mit dans un grand état d’agitation. Je souhaitai pouvoir mettre la fille dans ce conte ou dans un autre, mais elle s’était placée de telle façon qu’elle pût surveiller la rue et l’entrée du café, et je compris qu’elle attendait quelqu’un. De sorte que je me remis à écrire.
Le conte que j’écrivais se faisait tout seul et j’avais même du mal à suivre le rythme qu’il m’imposait. Je commandai un autre rhum Saint-James et, chaque fois que je levais les yeux, je regardais la fille, notamment quand je taillais mon crayon avec un taille-crayon tandis que les copeaux bouclés tombaient dans la soucoupe placée sous mon verre.
Je t’ai vue, mignonne, et tu m’appartiens désormais, quel que soit celui que tu attends et même si je ne dois plus jamais te revoir, pensais-je. Tu m’appartiens et tout Paris m’appartient, et j’appartiens à ce cahier et à ce crayon.
Puis je me remis à écrire et m’enfonçai dans mon histoire et m’y perdis. C’était moi qui l’écrivais, maintenant, elle ne se faisait plus toute seule et je ne levai plus les yeux, j’oubliai l’heure et le lieu et ne commandai plus de rhum Saint-James. J’en avais assez du rhum Saint-James, à mon insu d’ailleurs.
Puis le conte fut achevé et je me sentis très fatigué. Je relus le dernier paragraphe et levai les yeux et cherchai la fille, mais elle était partie. J’espère qu’elle est partie avec un type bien, pensai-je. Mais je me sentais triste.
Questions :
- Montrez en quoi le café est un lieu propice à l’exercice du travail intellectuel.
- De quelle manière l’auteur suggère-t-il ici que Paris est la ville de l’amour ?
- Qu’éprouve l’écrivain lors de l’irruption de la jeune femme dans le café ?
- Expliquez la formule : « tu m’appartiens et tout Paris m’appartient »
- Paris est une fête a été en tête des ventes en librairie après les attentats de novembre 2015 en France ; proposez une explication.
André Breton – Nadja (1928)
Le 4 octobre dernier, à la fin d’un de ces après-midi tout à fait désœuvrés et très mornes, comme j’ai le secret d’en passer, je me trouvais rue Lafayette : après m’être arrêté quelques minutes devant la vitrine de la librairie de L’Humanité et avoir fait l’acquisition du dernier ouvrage de Trotsky, sans but je poursuivais ma route dans la direction de l’Opéra. Les bureaux, les ateliers commençaient à se vider, du haut en bas des maisons des portes se fermaient, des gens sur le trottoir se serraient la main, il commençait tout de même à y avoir plus de monde. J’observais sans le vouloir des visages, des accoutrements, des allures. Allons, ce n’étaient pas encore ceux-là qu’on trouverait prêts à faire la Révolution. Je venais de traverser ce carrefour dont j’oublie ou ignore le nom, là, devant une église. Tout à coup, alors qu’elle est peut-être encore à dix pas de moi, venant en sens inverse, je vois une jeune femme, très pauvrement vêtue, qui, elle aussi, me voit ou m’a vu. Elle va la tête haute, contrairement à tous les autres passants. Si frêle qu’elle se pose à peine en marchant. Un sourire imperceptible erre peut-être sur son visage. Curieusement fardée, comme quelqu’un qui, ayant commencé par les yeux, n’a pas eu le temps de finir, mais le bord des yeux si noir pour une blonde. Le bord, nullement la paupière (un tel éclat s’obtient et s’obtient seulement si l’on ne passe avec soin le crayon que sous la paupière. Il est intéressant de noter, à ce propos, que Blanche Derval, dans le rôle de Solange, même vue de très près, ne paraissait en rien maquillée. Est-ce à dire que ce qui est très faiblement permis dans la rue mais est recommandé au théâtre ne vaut à mes yeux qu’autant qu’il est passé outre à ce qui est défendu dans un cas, ordonné dans l’autre ? Peut-être.) Je n’avais jamais vu de tels yeux. Sans hésitation j’adresse la parole à l’inconnue, tout en m’attendant, j’en conviens du reste, au pire. Elle sourit, mais très mystérieusement, et, dirai-je, comme en connaissance de cause, bien qu’alors je n’en puisse rien croire. Elle se rend, prétend-elle, chez un coiffeur du boulevard Magenta (je dis : prétend-elle, parce que sur l’instant j’en doute et qu’elle devait reconnaître par la suite qu’elle allait sans but aucun). Elle m’entretient bien avec une certaine insistance de difficultés d’argent qu’elle éprouve, mais ceci, semble-t-il, plutôt en manière d’excuse et pour expliquer l’assez grand dénuement de sa mise. Nous nous arrêtons à la terrasse d’un café proche de la gare du Nord. Je la regarde mieux. Que peut-il bien passer de si extraordinaire dans ces yeux ? Que s’y mire-t-il à la fois obscurément de détresse et lumineusement d’orgueil ? […] Elle me dit son nom, celui qu’elle s’est choisi : « Nadja, parce qu’en russe c’est le commencement du mot espérance, et parce que ce n’en est que le commencement. » Elle vient seulement de songer à me demander qui je suis (au sens très restreint de ces mots). Je le lui dis.
Questions :
- Le narrateur et Nadja se promènent sans but. En quoi la possibilité de flâner à pied dans la ville contribue-elle au charme de Paris par rapport à d’autres capitales ?
- Pensez-vous que l’auteur soit tombé amoureux de Nadia « au premier regard » ?
Charles Baudelaire – Tranquille comme un sage… (1861)
Tranquille comme un sage et doux comme un maudit,
…j’ai dit:
Je t’aime, ô ma très belle, ô ma charmante…
Que de fois…
Tes débauches sans soif et tes amours sans âme,
Ton goût de l’infini
Qui partout, dans le mal lui-même, se proclame,
Tes bombes, tes poignards, tes victoires, tes fêtes,
Tes faubourgs mélancoliques,
Tes hôtels garnis,
Tes jardins pleins de soupirs et d’intrigues,
Tes temples vomissant la prière en musique,
Tes désespoirs d’enfant, tes jeux de vieille folle,
Tes découragements;
Et tes jeux d’artifice, éruptions de joie,
Qui font rire le Ciel, muet et ténébreux.
Ton vice vénérable étalé dans la soie,
Et ta vertu risible, au regard malheureux,
Douce, s’extasiant au luxe qu’il déploie…
Tes principes sauvés et tes lois conspuées,
Tes monuments hautains où s’accrochent les brumes.
Tes dômes de métal qu’enflamme le soleil,
Tes reines de théâtre aux voix enchanteresses,
Tes tocsins, tes canons, orchestre assourdissant,
Tes magiques pavés dressés en forteresses,
Tes petits orateurs, aux enflures baroques,
Prêchant l’amour, et puis tes égouts pleins de sang,
S’engouffrant dans l’Enfer comme des Orénoques,
Tes anges, tes bouffons neufs aux vieilles défroques
Anges revêtus d’or, de pourpre et d’hyacinthe,
Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.
Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.
Questions :
- Cherchez 5 adjectifs pour qualifier la ville de Paris, tel que Baudelaire la décrit, puis choisissez-en 5 qui correspondent à votre propre image de la capitale.
- Montrez en quoi ce texte renvoie au projet de Baudelaire lorsqu’il rédige Les Fleurs du mal : « il m’a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d’extraire la beauté du mal » écrit-il dans un projet de préface.
Hexagone Gay, Histoire des Gay Prides en France
En juin 1969, après un contrôle d’identité musclé, opéré par la police new-yorkaise au bar homosexuel “le Stonewall Inn” (53 Christopher Street), les clients vont se révolter et 5 nuits d’émeutes vont embraser le quartier. C’est la première fois que la police est confrontée à une révolte des homosexuels. Plusieurs centaines de gays, de lesbiennes et de travestis vont se heurter à la police anti-émeute. Ils vont descendre dans la rue en revendiquant et en assumant leur différence, en criant leur fierté d’être gay en opposition à ce sentiment de honte qui leur était imposé par la société.
C’est en mars 1971 que nait en France le mouvement homosexuel révolutionnaire, avec la création du FHAR, Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire. Dès lors, une structure existe pour que les homos français descendent eux aussi dans la rue à visage découvert. Mais la première marche autonome des homosexuels français ne sera organisée qu’en 1977 à Paris. Dans cet intervalle, le FHAR qui laissera la place en 1974 au GLH (Groupe de Libération Homosexuelle), participe à tous les défilés de la fête du travail du 1er mai aux cotés des syndicats, des partis de gauche mais surtout du MLF (Mouvement de Libération de la Femme) avec lequel il a un combat commun : la lutte contre le pouvoir du mâle hétérosexuel qui considère les femmes et les homosexuels comme des êtres inférieurs.
C’est à partir de 1979 que les associations vont parler de “gay pride” et que l’événement va se reproduire sans interruption chaque année en juin jusqu’à nos jours.
En avril 1981, juste avant les élections présidentielles, la gaypride de Paris affichera clairement des ambitions électoralistes et sera la première démonstration de masse du mouvement homosexuel français. Puis, avec la disparition des principales lois discriminatoires et l’apparition du Sida, le militantisme va connaître un essoufflement et les marches, une baisse d’affluence.
Dans les années 90, le Sida aura transformé la communauté homosexuelle et aura mis à jour de nouvelles discriminations notamment en ce qui concerne les droits du partenaire. Sous l’impulsion des associations de lutte contre le Sida, on va assister à une renaissance progressive des gay prides. Désormais, les homosexuels ne revendiquent plus leur différence mais, au contraire, veulent les mêmes droits sociaux que les hétérosexuels et en particulier le droit au couple reconnu, sans parler encore de mariage. Toutes les marches de la décennie 90 vont aborder le thème du Contrat d’Union Social (CUS) qui va devenir le PACS (Pacte Civil de Solidarité) et être enfin voté par le Parlement en 1999. La marche parisienne va passer de 1500 manifestants en 1990 à 250 000 en 1999. A partir de 1994, les villes de région vont aussi voir apparaitre des marches de la fierté. Au milieu des années 90, l’appellation “gay pride” est abandonnée pour “lesbian and gay pride” et les marches s’ouvrent aussi à une population plus large, y compris des hétérosexuels sympathisants.
Questions :
- Pensez-vous qu’il soit justifié de lier la fête à des revendications politiques ?
- En quoi la marche de fiertés permet-elle de renouer avec la réputation de Paris comme « ville de plaisirs » ?
Résumez en un paragraphe d’une quinzaine de lignes et en ne reprenant que les références étudiées dans ce corpus comment Paris peut-elle être considérée comme la ville de l’amour et de la fête.
Les cabarets à Paris : les cabarets de la mort