L’invitation au voyage : entrer dans le thème

I – Le voyage en chanson

Paroles de Tailler la Route (Grand Corps Malade, Ben Mazué, Gaël Faye)

[Verse 1 : Grand Corps Malade]
Entre deux gros concerts, entre deux courants d’air
Entre ceux qui disent oui qui disent non j’ai fait l’inventaire
Si rester c’est l’enfer, si partir c’est dans l’air
Est-ce que je dois secouer 40 années de ma vie de sédentaire ?
Et pourquoi je quitterais la vue que j’ai depuis ma terrasse ?
Elle est très bien ma vue, il est très bien mon quartier
Et pourquoi je quitterais mes potes et mon voisin d’en face ?
C’est ici qu’j’suis moi-même et serein et entier
Et pourtant ça me tente, et pourtant ça me chante
Et pourtant ça rentre pas dans mon schéma et c’est ça qui se tente
Et pourtant je le sens, je le crains, je le fuis et je le veux
Tailler un peu la route avant d’être vieux
Comprendre les couleurs et les douceurs des lointaines chaleurs
Apprendre les lumières lunaires des cités étrangères
Voir avec bonheur comment les enfants dansent ailleurs
Me fabriquer d’autres repères pour quand je ferme les paupières

[Refrain : Ben Mazué]
Tailler la route
Tailler la route
(On va, on va, on va) Tailler la route
(On va, on va, on va)

[Verse 2 : Gaël Faye]
Il ne savent pas que je mords, que ma vie sent le souffre
Je passe en météore comme on passera tous
J’suis fait de pierre granit mais d’un cœur grenadine
Quand t’effriteras ton shit moi je taillerai ma mine
Ouais je taillerai la route, ici j’ai plus d’attache
J’irai m’planquer dans la soute si pour moi y’a plus la place
Qu’ils aillent gratter leurs croûtes cette bande de fils de lâches
Obsédés par leur souche moi j’suis amoureux du large
J’veux faire des milliers de miles, me languir de mille romans
M’arrimer au rythme lent, l’ire en moi la calmer de milliers de mots
Admirer le monde, la lune, l’onde de la mer au loin
La lumière de l’aube sur l’eau en naviguant d’îles en îlots
Éviter les vagues et livrer combat à l’hydre du Mal
J’ai vidé les larmes, de longue date j’habite le large
S’attifer de l’or des jours qui passent pour raviver l’âme
Marcher le feu dans la lanterne jusqu’à Lalilbela

[Refrain : Ben Mazué]
(On va, on va, on va) Tailler la route
(On va, on va, on va) Tailler la route
(On va, on va, on va) Tailler la route
(On va, on va, on va)

[Verse 3 : Ben Mazué]
J’aime être seul partir à la pêche
Même si je pêche pas partir à la fraîche
Moi j’ai la parole sèche
Quand mon apparence triche
Je fais pas très bien semblant
Quand mon apparence flanche
Je prends pas souvent sur moi
Je prends trop souvent sur ceux qui m’entourent et qui m’aiment
Et pour qu’ils se ressourcent eux de mes tristes rengaines
Régulièrement je me retire
Je pars ou je peux dire
Rien si je veux
Régulièrement je me retire
Désolé mais sans rire
Je te dirai jamais « Viens si tu veux »
Ça veut dire que je t’aime mais que je me connais
Passée la quarantaine je vais pas beaucoup changer
Je vais quitter là mes chaînes, là mes chaînes, là mes chaînes
Et quand je reviendrai l’âme saine, l’âme saine, l’âme saine
C’est que j’aurais voyagé

Questions

  1. A quels types de voyages les 3 chanteurs font référence ?
  2. Relevez les mots et expressions en lien avec le voyage et identifiez en le niveau de langage
  3. Dans un second temps, relevez les termes en lien avec la sédentarité
  4. Pourquoi Gaël Faye évoque le “shit” dans son couplet ?
  5. Que peut-on dire du parallèle entre “tailler sa route” et “tailler sa mine”
  6. “j’me retire là où je peux dire rien si je veux” : expliquer le rapport entre cette phrase et le thème du voyage

II – Quelques références culturelles

Le thème s’appelle Invitation au voyage. Il fait probablement référence avant tout à deux poèmes de Charles Baudelaire.

Baudelaire (1821 – 1867) est un personnage majeurs de la poésie française. Il est considéré comme un héritier du courant romantique (où les sentiments sont plus importants que la raison) et un précurseur du symbolisme (qui utilise le symbole, les mythes et les légendes), par son style que l’on appelle le “spleen baudelairien” : une profonde mélancolie liée à un mal de vivre profond, qu’il exploite dans un recueil de poèmes qui le fera entrer dans la postérité : Les Fleurs du Mal. On y retrouve des poèmes mélancoliques, scandaleux, graves, traitant de l’horreur ou, ce qui nous intéresse particulièrement ici, de l’exotisme et donc de goût pour l’étranger.

Charles Baudelaire – Les Fleurs du Mal, section “Spleen et idéal” (1861)

LIII

L’INVITATION AU VOYAGE



Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés

Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.

— Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Questions

  1. Quels éléments construisent l’idée du lointain dans ce poème ?
  2. De quelle manière le voyage est-il marqué par l’onirisme, le rêve ?
  3. Quelle conclusion pouvez-vous en tirer quant à la nature de ce voyage ?

Dans son troisième paragraphe, la problématique cite Montaigne : “le voyageur actuel est semblable à certains contemporains de Montaigne qui, partout où ils vont « se tiennent à leurs façons »”
C’est une référence directe aux célèbres Essais de Montaigne, vaste ouvrage où le philosophe traite de nombreux sujets divers et variés, tels la médecine, l’art, l’histoire… en y apportant sa touche personnelle et sa propre réflexion. Pendant les 20 dernières années de sa vie (de 1572 à 1592), Montaigne ne cessera de réécrire ses Essais, permettant au lecteur de lire non pas l’avis d’un homme, mais sa vie en train d’évoluer.

Eduqué par un père humaniste et polyglotte, Montaigne passera les premières années de sa vie à voyager en itinérant, ce qui lui permettra d’écrire ce court passage dans son livre 3, qui décrit l’attitude des voyageurs.

Montaigne, Essais, Livre III, chapitre 9, « De la vanité » (1580)

Moi, qui le plus souvent voyage pour mon plaisir, ne me guide pas si mal. S’il fait laid à droite, je prends à gauche ; si je me trouve mal propre à monter à cheval, je m’arrête. Et faisant ainsi, je ne vois à vérité rien qui ne soit aussi plaisant et commode que ma maison, Il est vrai que je trouve la superfluité toujours superflue, et remarque de l’empêchement en la délicatesse même et en l’abondance. Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi ? J’y retourne ; c’est toujours mon chemin. […]

J’ai la complexion du corps libre et le goût commun autant qu’homme du monde. La diversité des façons d’une nation à autre ne me touche que par le plaisir de la variété. Chaque usage a sa raison. Soient des assiettes d’étain, de bois, de terre, bouilli ou rôti, beurre ou huile de noix ou d’olive, chaud ou froid, tout m’est un, et si un que, vieillissant, j’accuse cette généreuse faculté, et aurais besoin que la délicatesse et le choix arrêtât l’indiscrétion de mon appétit et parfois soulageât mon estomac. Quand j’ai été ailleurs qu’en France et que, pour me faire courtoisie, on m’a demandé si je voulais être servi à la française, je m’en suis moqué et me suis toujours jeté aux tables les plus épaisses d’étrangers.

J’ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur, de s’effaroucher des formes contraires aux leurs : il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et abominent les étrangères. Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie, ils festoient cette aventure : les voilà à se rallier et à se recoudre ensemble, à condamner tant de mœurs barbares qu’ils voient. Pourquoi non barbares, puisqu’elles ne sont françaises ? Encore sont-ce les plus habiles qui les ont reconnues, pour en médire. La plupart ne prennent l’aller que pour le venir. Ils voyagent couverts et resserrés d’une prudence taciturne et incommunicable, se défendant de la contagion d’un air inconnu.

Questions

  1. De quelle manière Montaigne construit son itinéraire de voyage ?
  2. Quelle conception du voyage à l’étranger développe-t-il ?
  3. Quels reproches adresse-t-il à ses contemporains et pourquoi ?
Caspar David Friedrich – Le Voyageur contemplant une mer de nuages (1818)

Questions

  1. Relever les éléments importants qui composent ce tableau
  2. Pourquoi le voyageur est-il vu de dos ?
  3. Comment le peintre met en évidence la question du voyage dans ce tableau ?
  4. Selon vous, vers où se dirige-t-il ?
  5. De quel type de voyage s’agit-il ?

IV – Comprendre le sujet

Pour pouvoir plonger dans un thème aussi vaste, il faut d’abord comprendre et analyser la problématique. On partira donc de cette dernière, comme proposée par le journal officiel (vous pouvez retrouver en cliquant sur ce lien)

L’enjeu va être ici de cerner les enjeux de la problématique afin de pouvoir y répondre au mieux tout au long du cours.

Problématique

« Longtemps apanage d’une élite sociale, le voyage s’est désormais démocratiséLa variété des moyens de transports, la baisse des coûts, la facilité de l’organisation du voyage en ligne, clé en main, donnent au plus grand nombre l’opportunité de se déplacer vers des destinations lointaines. Pourtant, tout le monde ne voyage pas : la peur de l’inconnu, les risques éventuels, l’éloignement de l’environnement familier ou encore les dépenses occasionnées peuvent freiner l’envie de partir.

Mais pourquoi voyageons-nous ? Certes, nous sommes parfois contraints de nous déplacer pour des raisons professionnelles ou des motifs familiaux, mais le temps des vacances est une invitation au dépaysement, à l’agrément et à l’exotisme, à la découverte de l’ailleurs. Voyager, c’est alors prendre le large et, quand on part, on ne revient pas toujours le même : le voyage est un rite de passage qui permet de faire l’expérience de soi-même face aux autres, face à l’inconnu. Ainsi, les peintres ont longtemps fait le voyage en Italie, les aristocrates ont eu leur Grand Tour et les étudiants européens peuvent participer au programme Erasmus. Cependant s’agit-il encore de la même conception du voyage ?

Aujourd’hui, le tourisme déplace des foules selon des itinéraires balisés, au mépris des conséquences écologiques. La mondialisation des enseignes de commerce abolit les différences géographiques et culturelles : le voyageur actuel est semblable à certains contemporains de Montaigne qui, partout où ils vont « se tiennent à leurs façons ». Peut-on véritablement parler de la découverte de nouveaux territoires lorsqu’on ne fait que se délocaliser du même au même ? On se photographie devant des monuments, des paysages ou des plats exotiques – selfies aussitôt mis en ligne pour donner une image de soi qui suscite admiration et envie. Est-ce encore voyager, que de voyager sans changer de regard, sans s’oublier soi-même pour s’ouvrir aux autres ? »

Questions

  1. Retrouver les différents thèmes abordés par la problématique
  2. Trouver deux problématiques explicitement dans le document officiel, et en proposer d’autres