I – Les dix devoirs de la charte de Munich :
1. Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité.
2. Défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique.
3. Publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations
essentielles et ne pas altérer les textes et les documents.
4. Ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents.
5. S’obliger à respecter la vie privée des personnes.
6. Rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte.
7. Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement.
8. S’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information.
9. Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs.
10. Refuser toute pression et n’accepter de directives rédactionnelles que des responsables de la rédaction.
Les droits du journaliste
1. Les journalistes revendiquent le libre accès à toutes les sources d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique. Le secret des affaires publiques ou privées ne peut en ce cas être opposé au journaliste que par exception en vertu de motifs clairement exprimés.
2. Le journaliste a le droit de refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne générale de son entreprise, telle qu’elle est déterminée par écrit dans son contrat d’engagement, de même que toute subordination qui ne serait pas clairement impliquée par cette ligne générale.
3. Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou sa conscience. […]
Questions :
– Classer chaque article selon qu’il concerne un devoir de vérité, d’honnêteté ou de liberté
– Vrai ou faux (justifier):
Un journaliste doit obéir aux consignes de sa rédaction et respecter la ligne éditoriale du média pour lequel il travaille.
Un journaliste doit obéir aux consignes des annonceurs qui achètent des encarts publicitaires dans le média pour lequel il travaille.
Un journaliste peut être obligé de dire ou d’écrire des propos avec lesquels il est en total désaccord.
– La liberté de la presse a-t-elle des limites ?
II – Les médias reflètent-ils la réalité du monde ? Richard Kapuscinsky, Le Monde Diplomatique, Août 1999
Dans quelle mesure les médias constituent-ils un miroir fidèle du monde ? Depuis que les nouvelles technologies ont bouleversé le journalisme et permis la constitution de grands groupes médiatiques aux ambitions planétaires, cette question devient plus pertinente que jamais. L’instantanéité et le direct ont bouleversé les conditions d’enquête. Et l’impératif du profit a remplacé les plus nobles exigences civiques. […]
Les technologies de pointe ont provoqué une multiplication des médias. Quelles en sont les conséquences ? La principale, c’est la découverte que l’information est une marchandise dont la vente et la diffusion peuvent rapporter d’importants profits. Naguère, la valeur de l’information était associée à divers paramètres, en particulier celui de la vérité. Elle était aussi conçue comme une arme favorisant le combat politique. […]
Aujourd’hui, tout a changé. Le prix d’une information dépend de la demande, de l’intérêt qu’elle suscite. Ce qui prime, c’est la vente. Une information sera jugée sans valeur si elle n’est pas en mesure d’intéresser un large public. La découverte de l’aspect mercantile de l’information a déclenché l’afflux du grand capital vers les médias. Les journalistes idéalistes, ces doux rêveurs en quête de vérité qui dirigeaient auparavant les journaux, ont été souvent remplacés, à la tête des entreprises de presse, par des hommes d’affaires.[…]
Depuis qu’elle est considérée comme une marchandise, l’information a cessé d’être soumise aux critères traditionnels de la vérification, de l’authenticité ou de l’erreur. Elle est maintenant régie par les lois du marché. […]
Les nouvelles technologies, surtout le téléphone mobile et le courrier électronique, ont transformé radicalement les relations entre les reporters et leurs chefs. Auparavant, l’envoyé d’un journal, le correspondant d’une agence de presse ou d’une chaîne de télévision disposait d’une grande liberté et pouvait donner libre cours à son initiative personnelle. Il recherchait l’information, la découvrait, la vérifiait, la sélectionnait et la mettait en forme. Actuellement, et de plus en plus souvent, il n’est qu’un simple pion que son chef déplace à travers le monde […]. Ce chef, de son côté, dispose, à sa portée, des informations provenant d’une multitude de sources (chaînes d’informations en continu, dépêches d’agences, internet) et peut ainsi avoir sa propre appréciation des faits, éventuellement fort différente de celle du reporter qui couvre l’événement sur place.
Parfois, le chef […] informe le reporter du développement des événements, et la seule chose qu’il attend de son envoyé spécial, c’est la confirmation de l’idée qu’il s’est déjà faite sur cette affaire. Beaucoup de reporters ont désormais peur de rechercher la vérité par eux-mêmes. […] Revenons au point de départ : les médias reflètent-ils le monde ? De manière, hélas, très superficielle et fragmentaire. Ils se concentrent sur les visites présidentielles ou les attentats terroristes ; et même ces thèmes semblent moins les intéresser. […] La sélection des informations est basée sur le principe « plus il y a de sang, mieux ça se vend ».
Nous vivons dans un monde paradoxal. D’une part, on nous dit que le développement des moyens de communication a relié toutes les parties de la planète entre elles pour former un « village global » ; et, d’autre part, la thématique internationale occupe de moins en moins d’espace dans les médias, occultée par l’information locale, par les titres à sensation, par les ragots, le people et toute l’information-marchandise. […]
Questions :
– Soulignez le passage montrant que le journaliste est prisonnier du public
– Montrez que les enjeux économiques sont devenus prépondérants
– En quoi la technologie a modifié le métier de reporter ?
– Pensez-vous que la technologie ait modifié notre société en profondeur ?
III – Pierre Bourdieu – Sur la télévision, 1996
Je voudrais aller vers des choses légèrement moins visibles en montrant comment la télévision peut, paradoxalement, cacher en montrant, en montrant autre chose que ce qu’il faudrait montrer si on faisait ce que l’on est censé faire, c’est-à-dire informer ; ou encore en montrant ce qu’il faut montrer, mais de telle manière qu’on ne le montre pas ou qu’on le rend insignifiant, ou en le construisant de telle manière qu’il prend un sens qui ne correspond pas du tout à la réalité.
Sur ce point, je prendrai deux exemples empruntés aux travaux de Patrick Champagne. Dans La Misère du monde, Patrick Champagne a consacré un chapitre à la représentation que les médias donnent des phénomènes dits de « banlieue » et il montre comment les journalistes, portés à la fois par les propensions inhérentes à leur métier, à leur vision du monde, à leur formation, à leurs dispositions, mais aussi par la logique de la profession, sélectionnent dans cette réalité particulière qu’est la vie des banlieues, un aspect tout à fait particulier, en fonction de catégories de perception qui leur sont propres. La métaphore la plus communément employée par les professeurs pour expliquer cette notion de catégorie, c’est-à-dire ces structures invisibles qui organisent le perçu, déterminant ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, est celle des lunettes. Ces catégories sont le produit de notre éducation, de l’histoire, etc. Les journalistes ont des « lunettes » particulières à partir desquelles ils voient certaines choses et pas d’autres ; et voient d’une certaine manière les choses qu’ils voient. Ils opèrent une sélection et une construction de ce qui est sélectionné.
Le principe de sélection, c’est la recherche du sensationnel, du spectaculaire. La télévision appelle à la dramatisation, au double sens : elle met en scène, en images, un événement et elle en exagère l’importance, la gravité, et le caractère dramatique, tragique. Pour les banlieues, ce qui intéressera ce sont les émeutes. C’est déjà un grand mot… (On fait le même travail sur les mots. Avec des mots ordinaires, on n’« épate pas le bourgeois », ni le « peuple ». Il faut des mots extraordinaires. En fait, paradoxalement, le monde de l’image est dominé par les mots.
La photo n’est rien sans la légende qui dit ce qu’il faut lire – legendum –, c’est-à-dire, bien souvent, des légendes, qui font voir n’importe quoi. Nommer, on le sait, c’est faire voir, c’est créer, porter à l’existence. Et les mots peuvent faire des ravages : islam, islamique, islamiste – le foulard est-il islamique ou islamiste ? Et s’il s’agissait simplement d’un fichu, sans plus ? Il m’arrive d’avoir envie de reprendre chaque mot des présentateurs qui parlent souvent à la légère, sans avoir la moindre idée de la difficulté et de la gravité de ce qu’ils évoquent et des responsabilités qu’ils encourent en les évoquant, devant des milliers de téléspectateurs, sans les comprendre et sans comprendre qu’ils ne les comprennent pas. Parce que ces mots font des choses, créent des fantasmes, des peurs, des phobies ou, simplement, des représentations fausses). Les journalistes, grosso modo, s’intéressent à l’exceptionnel, à ce qui est exceptionnel pour eux.
Questions :
– Expliquez la métaphore des lunettes
– Selon l’auteur, sur quel principe repose la sélection de l’information par les médias ? Comment est-il mis en oeuvre et quelles en sont les conséquences ?
IV – Daniel Schneidermann – Du journalisme après Bourdieu, 1999
Vous avez évidemment raison. Pratiquons au scalpel une coupe dans le cerveau d’un journaliste : nous y trouverons des milliers de présupposés. Comme aux boulangers, aux commissaires de police ou aux ménagères de moins de 50 ans, nos présupposés nous dictent nos actes, nos éditoriaux, nos reportages. Or, nous devrions être la catégorie sociale la plus apte à prendre conscience de ses présupposés. Un présupposé remonté à la surface à la force du poignet, auto-formulé, avoué à soi-même, cesse d’être un présupposé pour devenir un parti pris conscient, délibéré et fièrement assumé – ou combattu […]
Et voilà les journalistes sommés par vous, comme un policier leur demanderait leurs papiers, d’« expliciter leurs présupposés ».
Vous touchez juste, Pierre Bourdieu : nous n’exposons presque jamais nos présupposés à nos lecteurs ou à nos téléspectateurs, tout simplement parce que nous ne les connaissons pas, et nous ne les exposons même pas à nous-mêmes. Personne ne nous a expliqué qu’il pourrait être intéressant d’y réfléchir et de les porter à la connaissance de notre public. Personne, dans les écoles de journalisme, ne nous a appris à enquêter sur nos présupposés. On nous a même appris que le “je” était haïssable.
L’idée même de présupposé ne nous effleure pas. Privilégiant le crime sadique plutôt que la dévaluation du rouble, le rédacteur en chef du 20 heures n’est même pas conscient d’opérer un choix. Le crime sadique “est” plus intéressant que la dévaluation du rouble. Plus ils vieillissent, plus ils sont en position de choix, plus les journalistes se cuirassent intellectuellement dans l’évidence des hiérarchies inculquées à l‘école. Je me souviens de cette consœur de télévision à qui nous reprochions sur le plateau d’« Arrêt sur images » de privilégier les faits divers au détriment de l’actualité étrangère et qui répliquait, pathétiquement sincère : « Mais il ne se passe pas grand-chose, en ce moment, à l’étranger ! ». Cuirassée par sa pratique quotidienne, elle ne savait pas que c’était elle qui décidait que les événements étrangers n’étaient pas intéressants.
Voilà le journaliste. Il faut l’imaginer harcelé par les sommations bourdieusiennes. Superficiel ! Suiviste ! Cynique ! Connivent ! Se défendre lui imposerait de passer outre au premier des commandements professionnels : ne pas se penser lui-même comme un sujet choisissant, ne pas parler de lui. Inimaginable. Certainement, s’il est une leçon à tirer de vos attaques, faut-il introduire dans les écoles de journalistes une nouvelle matière que l’on pourrait appeler la règle du “je”, ou “le choix, c’est soi”. “Ouvrir” une page de journal sur une telle information plutôt que telle autre, “attaquer” son article sur telle citation plutôt que telle autre : tout est choix, que le journaliste effectue en fonction de ses présupposés.
Questions :
– Quelle différence l’auteur fait-il entre choix et présupposé ?
– Selon lui, en quoi l’objectivité est-elle nécessairement inacessible