La voyage dans le cinéma de SF

Lorsque nous pensons au voyage, nous y associons spontanément exotisme, envie de dépaysement et plaisir. Et nous ancrons cela dans nos pratiques réelles, à commencer par les voyages effectués lors de nos vacances. Le voyage apparaît ainsi de prime abord étroitement associé au tourisme.

Cependant, nous prendrons le contrepied de cette évidence, en examinant ce que le monde de l’imaginaire (et plus précisément de la SF) peut nous dire des voyages contraints. Car s’il y a bien un domaine où l’on n’envisage jamais le voyage sous l’angle touristique, c’est bien celui du voyage dans l’espace.

Le voyage technique ou professionnel

Alien est un film américain de 1979 réalisé par Ridley Scott. Il amorce une vaste saga de science-fiction comprenant quatre films principaux (James Cameron, David Fincher et Jean- Pierre Jeunet succèderont à Ridley Scott) et deux préquelles directement réalisées par Ridley Scott.

Dans l’univers de ces films, l’humanité a fait des découvertes qui lui permettent d’entamer la colonisation de l’espace à partir de la seconde moitié du XXIe siècle. Le voyage dans l’espace se professionnalise et répond à des impératifs économiques ou industriels.

Dans Alien, le 8ème passager, l’équipage du Nostromo, un cargo spatial revenant vers la Terre avec un chargement de minerai, alors en hibernation pour la durée de ce trajet, se trouve réveillé par l’ordinateur de bord du vaisseau afin de répondre à un signal inconnu provenant d’un astre situé sur son itinéraire.

Les sept membres de l’équipage, comme cela est stipulé dans leur contrat, doivent partir pour une courte exploration qui leur fait découvrir les vestiges d’un vaisseau extraterrestre tapissé d’œufs étranges. L’un des membres de l’équipage se fait attaquer par une créature sortie d’un de ces œufs et le Nostromo, par ce truchement, embarque un 8e passager pour finir son voyage.

Comme Ripley, l’héroïne du film, le comprendra plus tard, la mission même du cargo a changé radicalement avec l’irruption de cette créature, l’Alien : c’est lui que le cargo doit en priorité rapporter, au prix même du reste de la cargaison et de son équipage.

La compagnie employant les membres de l’équipage dans le cadre d’un travail technique (transport de minerai) modifie donc le but de ce voyage spatial. Elle ne prend pas en considération les occupants du vaisseau et s’appuie sur un agent infiltré parmi les membres de l’équipage, l’officier scientifique Ash, qui est en fait un robot.

  1. À partir des extraits précédents, rédigez un court paragraphe dans lequel “Alien” constitue un exemple démontrant comment la nature d’un voyage peut évoluer en cours de route.

Le voyage scientifique

2001, l’Odyssée de l’espace est un film de Stanley Kubrick sorti en 1968. Il s’agit d’un film de science-fiction inspiré de nouvelles de Arthur C. Clarke et dont le scénario a été co-écrit par ce dernier. Le film est segmenté en plusieurs parties dont deux nous intéressent particulièrement.

L’ensemble du film est construit autour de la présence d’étranges monolithes noirs qu’on repère à des époques et en des lieux improbables. La première partie du film, se déroulant à l’aube de l’humanité, place ainsi l’objet au milieu d’une tribu d’australopithèques.

Le monolithe, à l’aube de l’humanité

Après cette séquence, le film reprend en 1999, avec la découverte d’un mystérieux monolithe noir sous la surface de la Lune, semble-t-il enfoui par une puissance extra-terrestre quelques millions d’années plus tôt. La découverte du monolithe provoque l’émission d’une onde radioélectrique vers Jupiter.

Une mission scientifique, baptisée “Jupiter”, est alors lancée, dix-huit mois plus tard, pour aller explorer ce que ce recèle l’emplacement pointé par l’onde émise depuis la Lune. Le vaisseau Discovery One fait route vers la planète avec à son bord trois scientifiques en état d’hibernation, et deux astronautes, David Bowman et Frank Poole, chargés de superviser le voyage.

Ils sont épaulés par un super-ordinateur, HAL, réputé pour être une intelligence artificielle infaillible, et qui se dit lui-même doté de conscience. Officiellement, la mission consiste “simplement” à tenter de rejoindre Jupiter, à la manière d’un exploit scientifique. La nature réelle de la mission scientifique n’est pas connue de Bowman et Poole : en effet les scientifiques concernés par celle-ci, et préparés pour la mener à bien, demeurent endormis durant le voyage. HAL, lui, semble en savoir davantage et être investi d’une mission de surveillance des deux astronautes, comme on le voit dans cette séquence où il interroge Bowman après avoir demandé à ce dernier de lui montrer les dessins qu’il réalise.

Le voyage spatial apparaît donc ici selon une double dimension. D’une part la mission scientifique s’affirme comme une “performance”. Il s’agit alors de prouver en situation réelle que l’on est capable d’accomplir des prouesses techniques. Le voyage spatial, ici, avec la mise en hibernation précoce des scientifiques, en constitue une illustration.

D’autre part, le voyage devient une véritable mission d’exploration scientifique dans sa partie “cachée” : les scientifiques, une fois réveillés, auront pour mission de découvrir et de comprendre ce qui se cache à l’endroit indiqué par l’onde électrique émise depuis la Lune.

Toutefois, bien entendu, rien ne se passera comme prévu et le voyage spatial, vers l’inconnu, deviendra une métaphore de la destinée humaine et d’une forme de voyage à travers le temps lui-même.

  1. Rédigez un paragraphe montrant précisément, à partir des extraits et propos développés jusqu’ici, comment le voyage, dans “2001, l’Odyssée de l’espace”, correspond à la volonté de réaliser des missions scientifiques précises.
  2. Proposez un exemple similaire dans l’histoire

Le voyage politique

La saga romanesque Dune, de Frank Herbert, multiplie les voyages, dans l’espace et à la surface de la planète Arrakis.

Publié en 1965, le roman Dune constitue le premier volume d’un cycle de six romans publiés sur une vingtaine d’années. L’intrigue nous projette en 10191 après la fondation de la Guilde spatiale. L’univers est soumis à un pouvoir féodal, dominé par l’Empereur Padisha Shaddam IV et soutenu par plusieurs grandes maisons – au sens de familles régnantes – qui se partagent les planètes de l’Empire. Ce monde humain s’est construit suite à une rébellion menée il y a plus de 10000 ans contre les machines.

Après cet épisode, les intelligences artificielles ont été interdites et des individus ont dû se spécialiser pour prendre en charge ces compétences. C’est le cas des navigateurs de la Guilde spatiale, institution qui possède le monopole sur les voyages. Ces navigateurs sont dotés d’une forme de prescience qui leur permet de mener de manière sûre les vaisseaux à travers l’espace à très grande vitesse. Mais ce pouvoir est intimement lié à une ressource particulière : l’Épice. Or, l’Épice n’est disponible qu’en un seul lieu dans tout l’univers : Arrakis (la planète des sables surnommée « Dune ») dont l’écosystème aride en fait un monde aux conditions de vie extrêmes pour les humains.

Par ailleurs, la production de l’Épice ne peut se faire de manière artificielle : il faut la débusquer dans le désert et la récolter en évitant que les machines ne subissent les assauts de monstrueux vers des sables. Du fait de sa dimension stratégique, la gestion d’Arrakis est confiée par l’Empereur à l’une ou l’autre des Maisons qui doit s’assurer de la bonne récolte de l’Épice en échange d’importants revenus.

Par souci de simplification et d’accessibilité de l’œuvre, nous nous en tiendrons à l’adaptation cinématographique récente de Denis Villeneuve. Une autre, de David Lynch, est considérée comme secondaire. Nous apporterons des éclaircissements en nous référant aux romans.

Le voyage contraint se manifeste de trois façons différentes dans Dune : dans la nomination du Duc Leto en tant que gouverneur d’Arrakis tout d’abord, dans la fuite de Paul à la surface de la planète des sables ensuite, et dans le système de transport de la Guilde enfin.

Voyager sur demande de l’Empereur

Le voyage revêt donc parfois une dimension politique. C’est le cas dans des sociétés dont la structure hiérarchique est stricte, comme on peut le voir dans la classe aristocratique des Grandes Maisons. Réparties sur diverses planètes, ces familles règnent chacune sur leurs mondes respectifs, tout en obéissant à l’Empereur, auquel chaque seigneur est en partie soumis selon un système féodal. À l’intérieur de ce système, des guerres d’influence sont monnaies courantes, allant jusqu’à des conflits armés ouverts mais procédant plutôt par l’intrigue et l’assassinat.

L’intrigue de Dune démarre lorsque l’Empereur ordonne au Duc Leto Atréides, qui règne sur la planète Caladan, de prendre en charge la gestion d’Arrakis, à la place de son ennemi le Baron Harkonnen. Ce qui apparaît comme un cadeau – la gestion d’Arrakis étant source d’immenses revenus – se révèle d’emblée comme un piège. Le Duc, qui en a conscience, ne peut pour autant refuser cette offre.

Les Harkonnen vont contester en sous-main cette passation de pouvoir et l’Empereur lui-même complote contre le Duc Leto dont l’influence auprès des grandes Maisons lui semble contester sa propre autorité. Il s’alliera donc secrètement aux Harkonnen pour faire tomber la Maison Atréides.

Pour autant, l’ordre de l’Empereur, qui prend la forme d’une grâce, ne peut être contesté et Leto devra, avec toute sa famille, quitter Caladan et s’installer sur Arrakis.

La fuite et l’exil

Les manœuvres des Harkonnen et de l’Empereur mènent à la chute des Atréides. Pour autant, Paul, le fils du Duc, ainsi que sa mère Jessica, parviennent à s’enfuir et se trouvent dans le désert de la planète des sables, dans lequel personne, hormis les Fremen, ne peut survivre.

On voit, dans l’extrait suivant, comment Paul précipite son engin volant dans une tempête de sable pour échapper à ses poursuivant et, suivant une inspiration quasi mystique, comment il livre son appareil aux vents plutôt que de tenter de leur résister.

Paul et Jessica entament alors un voyage à travers le désert qui d’une fuite se mue en exil. En effet, ils chercheront par la suite à intégrer des groupes de Fremen. C’est là que s’achève la première partie de l’adaptation de Denis Villeneuve, avant la suivante qui devrait montrer Paul et sa mère se faire une place au sein de la société Fremen afin d’être en mesure, plus tard, de réclamer réparation et de reconquérir le pouvoir sur Arrakis.

La Guilde et le coût du voyage

Dans l’univers d’Arrakis, aucun voyage dans l’espace n’est possible sans recourir aux services des navigateurs de la Guilde spatiale. Grâce à l’Épice, ces dernier ont muté et développé des capacités de prescience qui leur permettent de conduire de gigantesques vaisseaux à une vitesse transluminique, c’est-à-dire défiant la vitesse de la lumière, sans risquer de collisions avec les objets spatiaux situés sur le trajet. La Guilde possède ainsi un monopole absolu sur le transport et le voyage à l’échelle galactique.

La Guilde observe une position politique de stricte neutralité (et confidentialité). Elle transporte personnes, troupes, armes, marchandises, indifféremment, tant que le client est à même de payer. Ses services sont très chers, en partie car le “carburant” utilisé est un carburant mental : l’Épice que consomment en permanence les navigateurs, créatures hybrides vivant dans de grandes cuves où le Mélange est constamment diffusé sous forme gazeuse.

Dans Dune, la Guilde est donc employée par les Atréides pour transporter biens, troupes et personnes de Caladan à Arrakis. Elle sera ensuite utilisée par les Harkonnen et l’Empereur pour procéder à un débarquement soudain de leurs armées afin de renverser les Atréides fraichement installés sur la planète des sables.

  1. Rédigez un paragraphe montrant précisément, à partir des éléments étudiés, comment, dans “Dune”, le politique ou la diplomatie constituent des facteurs qui contraignent le voyage.


Le voyage dans l’espace comme ultime espoir pour sauver l’humanité

Interstellar, sorti en 2014, est le neuvième film de Christopher Nolan, réalisateur de la trilogie du Dark Knight ou encore d’Inception ou de Tenet.

L’action débute sur Terre en 2067. La planète est mourante, la population humaine condamnée par une crise alimentaire qu’elle ne peut surmonter. Contre le défaitisme global, une équipe de chercheurs œuvre en secret pour ménager une porte de sortie, via les étoiles, à l’humanité.

En effet, un trou de vers, apparu quelques quarante-huit ans plus tôt à proximité de Saturne, représente une chance pour explorer de nouveaux systèmes sans entamer des voyages interstellaires qui s’écouleraient sur des millénaires. Son apparition, mystérieuse, laisse supposer qu’une civilisation extraterrestre offre là une porte de sortie, voire de survie, à l’humanité toute entière.

Cooper, ancien pilote de la NASA, se trouve embarqué, à la suite de manifestations presque surnaturelles chez lui, dans une mission que mène, dans le plus grand secret, précisément cette même NASA. Il s’agit de vérifier si trois planètes, déjà repérées et sur lesquelles des éclaireurs ont été envoyés via le trou de ver, sont ou non susceptibles d’accueillir la migration de l’humanité. L’équipage de l’Endurance traverse donc ce trou de vers. On notera que le vaisseau spatial porte le même nom que celui du célèbre explorateur Ernest Shackleton, vaisseau pris dans les glaces en 1915 et dont l’épave ne fut retrouvée que plus d’un siècle plus tard en 2022.

Le voyage d’exploration, vital pour l’espèce humaine, apparaît comme le prélude d’un plus vaste voyage, sans retour, celui d’un exode. L’équipage de l’Endurance affronte ainsi divers obstacles avant que Cooper ne se sacrifie pour permettre à la mission de réussir. Il plonge ainsi dans “Gargantua”, l’immense trou noir qui façonne la nouvelle galaxie où l’humanité doit migrer.

Gargantua, vu depuis l’Endurance

Le personnage fait alors l’expérience d’une autre réalité où le temps et l’espace n’ont plus rien à voir avec la perception traditionnelle que nous en avons. Il plonge dans un tesseract pentadimensionnel (un hypercube à cinq dimensions) et revisite les mystère de son passé, aidant sa fille Murphy à permettre la migration de l’humanité à travers l’espace, l’exode de celle-ci vers le monde censé l’accueillir.

Cooper comprend que son temps n’est plus celui de cette humanité en pleine migration. Il décide de repartir à nouveau, rejoindre Amelia Brand, sa coéquipière de l’Endurance, qu’il a laissée gagner la dernière planète du système situé de l’autre côté du trou de vers. Ils ont l’espoir de fonder, ensemble, ce nouveau foyer prêt à accueillir l’humanité.

  1. Rédigez un paragraphe montrant précisément, à partir des éléments étudiés, comment, dans “Interstellar”, le voyage dans l’espace se trouve contraint par des enjeux vitaux pour l’humanité toute entière.

Comment la SF permet de réaliser des voyages impossibles ?

Est-ce que traverser l’espace revient à changer et bouleverser la nature du voyage ?