L’émancipation par le voyage

S’émanciper = s’affranchir d’une autorité, de servitudes ou de préjugés. Plus généralement, on peut rapprocher le mot de l’expression “se libérer de ses chaînes” : s’émanciper revient à quitter un mode de vie rempli de limites, d’entraves, afin de se sentir plus libre.

Des films sur l’émancipation

La vie rêvée de Walter Mitty

  1. Décrire Walter Mitty au début du film
  2. Pourquoi peut-on dire que Walter s’émancipe grâce à ses voyages ?

Thelma et Louise

Film de Ridley Scott (Alien, Gladiator, Blade Runner, Seul sur Mars…) sorti en 1991, avec Susane Sarandon, Geena Davis et Brad Pitt.

Synopsis : Thelma Lauren Dickinson, la trentaine, est l’épouse au foyer frustrée et soumise de Darryl, archétype du macho d’autant plus parfaitement inconscient de son ridicule que son complexe de supériorité est renforcé par sa réussite professionnelle. Louise Elizabeth Sawyer, son amie, serveuse dans une cafétéria, l’a convaincue de s’évader pour un week-end à la montagne. Quittant l’Arkansas, elles sont bien décidées à profiter de ces heures de liberté. Elles s’arrêtent en cours de route, dans une boîte de nuit. Alors qu’un homme essaie de violer Thelma sur le parking, Louise arrive in extremis, sort un revolver et empêche le viol. Devant la vulgarité et l’agressivité de l’homme, elle le tue. Louise refuse catégoriquement de se rendre à la police et décide de prendre la direction du Mexique, entraînant Thelma dans sa cavale.

Thelma et Louise est un classique du “road movie”, où le conducteur d’une voiture est le personnage principal, à qui il arrive plusieurs péripéties à mesure qu’il avance dans son voyage. C’est aussi un film novateur (pour son époque) tant il met en scène des femmes n’hésitant pas à utiliser la violence masculine pour arriver à leurs fins.
Parmi les scènes emblématiques du film, on retrouve leurs confrontations avec différents camionneurs, aboutissant à cette scène :

Questions :

  1. Comment voit-on que les deux femmes se sont émancipées durant leur voyage ?

L’émancipation féminine

Lucie Azéma – Les femmes aussi sont du voyage (2021)

Occuper la place qu’on aurait prise facilement si l’on avait été un homme : voilà le but d’une approche féministe du voyage. Apprendre à habiter son propre monde, ses propres frontières, puis nourrir un désir d’investir l’espace au-delà de ces limites intimes grâce à ce qu’on y a puisé : en voilà le moyen. La recherche d’une cohérence personnelle qui s’inscrit dans l’espace – comme si toutes ses dimensions (celles du dedans et du dehors) formaient une série de cercles concentriques – constitue le véritable chemin vers la libération. C’est le moyen de mettre du « je » dans le « nous », du distinct dans le commun, de n’avoir plus ni commencement ni fin. En ce sens, le voyage est aussi une expérience de l’humilité : refuser d’être dominée, c’est refuser de dominer. C’est instaurer un rapport d’égal à égal avec le monde, une harmonie partagée, un équilibre entre l’être humain et la nature, entre l’être humain et le reste du vivant, dans une logique de co-habitation, de co-évolution. […]

Une fois qu’on se sent appartenir à ce monde, qu’on a repris sa place, non plus comme deuxième sexe, mais comme membre du genre humain à part entière, on peut alors décentrer son regard et offrir à la multitude qui nous entoure, elle aussi, sa vraie place. C’est en cela que le choix et la pratique d’un tourisme de consommation détruisent-ils non seulement les paysages, la faune et la flore, mais déconnectent la voyageuse du réel, aliènent son rapport avec la nature et avec l’univers par le regard anthropocentré qu’ils induisent. Dans cette logique de consommation des villes étrangères et des paysages exotiques, la nature – le monde extérieur – devient un élément indésirable de l’aventure, un élément avec lequel on doit composer, et non plus embrasser (on se renseigne sur le climat pour choisir sa destination, etc.). Voyage et lieu de voyage évoluent alors comme deux variables déconnectées. C’est pourtant ce que l’aventurière voit et qui la surprend, ce qu’elle découvre, qui doit la faire naître en tant que telle. […]

Les chocs humains et culturels que nous sommes amenés à vivre à l’étranger ne font que le confirmer : on change de façon perpétuelle, de manière consciente ou inconsciente, visible ou invisible. Mais on se recrée, on se redessine à l’infini. Et c’est cela qui nous tient en vie. […]

Cela peut sembler terrifiant. Et sans aucun doute, ça l’est. La liberté est terrifiante. Être radicalement soi, sans transiger, sans dépendre d’un genre, d’un milieu, d’un lieu, d’une culture – aller à leur encontre – est terrifiant. Voler en éclats pour être soi, pour être libre au moins une fois avant de mourir est terrifiant.

Questions :

  1. Selon vous, pour quelles raisons les femmes peuvent avoir peur de voyager ?
  2. En quoi le voyage peut-il être une revendication féministe ?

Partir pour conquérir sa liberté

Leila Slimani – Le parfum des fleurs la nuit (2021)

Être dominé, être du côté des faibles, c’est être contraint à l’immobilité. Ne pas pouvoir sortir de son quartier, de sa condition sociale, de son pays. Dans mon enfance, je voyais tous les matins les longues files devant les consulats d’Espagne, de France, du Canada. Dans les années 1990, le phénomène des harraga s’est intensifié. Tout le monde voulait un visa. L’Europe devenait un territoire à la fois honni et follement désiré. Sur les toits-terrasses de toutes les villes pullulaient les paraboles, portes de sortie vers un monde inaccessible, qu’on regardait à la télé et qui faisait frémir d’envie. C’est ce que l’artiste marocaine Yto Barrada, qui a longtemps vécu et travaillé à Tanger, appelait « le désir d’Occident ». Depuis, cette injustice fondamentale m’obsède : des millions d’hommes sont condamnés à ne pas pouvoir sortir de chez eux. Ils sont interdits de voyage, empêchés, enfermés. C’est ainsi qu’est structuré notre monde contemporain : sur l’inégal accès à la mobilité et à la circulation.

Mon ami l’écrivain Abdellah Taïa est né à Salé, ville ouvrière voisine de Rabat dont elle est séparée par le fleuve Bouregreg. Rabat la bourgeoise jauge sa populeuse jumelle avec mépris et on ne traverse pas si facilement la frontière qui sépare ces deux villes. Abdellah vient d’un quartier pauvre de Salé et, quand il a eu dix-huit ans, il a décidé, contre l’avis de beaucoup, de venir étudier la littérature à Rabat. On a tenté de l’en dissuader. On lui a dit qu’un enfant de pauvres n’avait pas de temps à perdre sur les bancs de l’université. Qu’il fallait rester à sa place. Ne pas chercher à s’en sortir. « Tous les jours, je devais prendre le bus et effectuer un voyage qui mettait environ une demi-heure entre mon quartier et la fac de littérature. Ce n’était pas grand-chose comme distance et pourtant, ce voyage en bus a demandé à ma mère d’incroyables sacrifices. De 1992 à 1998, elle s’est arrangée pour trouver les douze dirhams quotidiens dont j’avais besoin pour me déplacer. Sans elle, sans ce voyage en bus, je n’aurais pu m’extraire de mon milieu et échapper à mon destin », m’a-t-il un jour raconté. Nous nous sommes dit que si nous n’étions pas devenus écrivains, que si nous n’avions pas émigré, nous ne nous serions sans doute jamais connus. Nous aurions vécu dans deux villes voisines, nous nous serions peut-être croisés dans une rue, sur une plage, mais il est fort peu probable que nous soyons jamais devenus amis. Pour devenir libres, pour devenir nous-mêmes, il nous a fallu nous arracher chacun aux rives de ce fleuve. Trouver un ailleurs où s’inventer.

Questions

  1. Pourquoi le voyage est-il un accès à la liberté ?

Aller plus loin : d’autres références sur le sujet

Lucie Azéma – Les femmes aussi sont du voyage. L’émancipation par le départ (2021)

Le lien entre voyage et engagement féministe n’est pas automatique. Certaines femmes ont utilisé l’aventure comme un levier d’émancipation, mais sans forcément l’identifier ainsi – sans prendre conscience de la domination patriarcale qu’elles subissaient dans leur vie sédentaire. Comme lorsqu’il y a le feu et que l’on cherche à fuir avant tout, sans prendre le temps de s’interroger sur l’origine de l’incendie. Elles ont su trouver la force de repousser les contours étroits du monde qui leur était imposé, et cela constituait déjà une prouesse en soi. D’autres, comme les aventurières Gertrude Bell et Mary Kingsley, se sont opposées au droit de vote des femmes.

Mais nombreuses sont celles qui ont lié leur engagement féministe au voyage. Pour la vie, le premier livre d’Alexandra David-Néel, publié en 1898, est un manifeste anarchiste et féministe. Il s’ouvre sur une phrase désormais célèbre : « L’obéissance, c’est la mort ! » David-Néel écrivit aussi des articles pour le journal féministe La Fronde, fondé en 1897 par Marguerite Durand, dans lesquels elle s’engagea pour les droits des femmes, contre le « piège de la maternité », les excès de l’autorité paternelle et les châtiments corporels imposés aux enfants. Quelques-unes ont directement voulu contester les règlements misogynes via le voyage, comme Maryse Choisy, qui se fera passer pour un jeune moine afin d’entrer au mont Athos, lieu à ce jour encore interdit aux femmes. Le voyage a aussi permis à certaines de réaliser une performance, comme Mary French Sheldon, qui part pour le Kilimandjaro en 1891 afin de « prouver qu’une femme peut être une aussi bonne exploratrice qu’un homme » et interdit à son mari de l’accompagner pour empêcher que sa démonstration ne perde tout son sens. Avant elle, en 1889, la journaliste et féministe Nellie Bly s’était engagée dans un tour du monde, avec pour objectif de battre le record fictif des quatre-vingts jours de Phileas Fogg. Elle y parviendra au terme d’un périple de soixante-douze jours qui sera très médiatisé à l’époque. Dans le Philadelphia Inquirer du 18 novembre 1889, un article de Dorothy Maddox affirme : « Depuis toujours, de nombreuses âmes méritantes sont restées au bas de l’échelle sous prétexte qu’on ne les pensait pas capables d’agir par elles-mêmes. […] Ce tour du monde célèbre le courage et l’énergie de notre sexe […]. Il est la preuve que le sexe faible, quand il est doté d’un esprit sain et est libéré des carcans habituels, peut rivaliser avec les hommes les plus brillants. » La même Nellie Bly, quelques années auparavant, était partie six mois au Mexique dans le but d’écrire des reportages, car elle ne supportait plus d’être « cantonnée aux tâches réservées aux femmes dans les rédactions ».