Document 1 – Priscille Touraille, Hommes grands, femmes petites : une évolution coûteuse (2018)
La règle de préséance des hommes dans les repas est aussi une constante des sociétés européennes passées :
« Dans la société rurale irlandaise passée, les femmes et les enfants ne mangeaient pas avant que les hommes et les garçons plus âgés ne soient rassasiés. »
Pour peu que les ressources soient limitées, les femmes, comme en Inde, sont les premières à en souffrir : étant donné le manque de ressources dans la maisonnée, les femmes distribuent souvent la plus grande portion de nourriture aux autres membres de la famille, particulièrement à leurs maris et aux autres hommes, gardant très peu pour elles-mêmes.
La manière dont s’actualise la soumission aux prérogatives des hommes sur les protéines est bien visible dans ce passage concernant une communauté berbérophone du Maroc :
« les hommes mangent avant les femmes et les enfants et considèrent les aliments de choix tels que la viande comme leur prérogative. Les femmes et les enfants apprennent à refuser la viande et, dans les occasions cérémonielles, à manger ce que les hommes laissent… Si elles sont invitées, [les femmes] vont souvent jurer qu’elles ont déjà mangé, et si elles ne le sont pas, qu’elles n’ont pas faim. Une femme avait l’habitude d’affirmer à ses convives qu’elle préférait les os à la viande. Les hommes, inversement, sont supposés ne jamais avoir à faire face au manque, qui est réparti sur les femmes et les enfants. »
Ce passage doit être considéré, à mon sens, comme un passage d’anthologie. Il donne à la fois la substance des idéologies de genre à l’œuvre dans le domaine de l’alimentation et les éléments pour contrer une objection devenue classique. Celle-ci consiste à minimiser le monopole masculin sur les denrées convoitées, au motif que ces denrées passent par les mains des femmes. Et si les denrées passent par les mains des femmes, ce sont elles qui les contrôlent, et donc elles peuvent en soustraire une partie (en cuisine, lors de la préparation) pour leur propre consommation. Sans écarter le fait que de telles pratiques existent, ce que la citation ci-dessus met en évidence, c’est bien la force de l’interdit et son incorporation par « la conscience dominée des femmes », comme dirait Nicole-Claude Mathieu. Il se peut que la contrainte soit plus matérielle qu’idéelle si les aliments réservés aux hommes sont, comme le laisse entendre la citation, peu abondants : soustraire une quantité d’aliments déjà réduite n’est même pas imaginable. Comme le dit Edward Shorter pour les époques historiques européennes :
« Les femmes, qui préparaient la nourriture, pouvaient soustraire autant de soupe au pain qu’elles voulaient. L’inégalité dont nous parlons portait uniquement sur les aliments riches en protéines et en graisse, comme la viande et le poisson, que l’on apportait entiers à table pour les partager devant tout le monde. »
Encore aujourd’hui, une étude menée en Grande-Bretagne dans les années 1980 conclut :
« Le fait que dans la plupart de nos familles les femmes font les courses et la cuisine ne les conduit pas nécessairement à user de ce pouvoir dans leurs propres intérêts. Comme pourvoyeuses de nourriture dans la famille, elles en viennent à subordonner leurs propres besoins et intérêts à ceux de leurs partenaires et à ceux de leurs enfants »
QUESTIONS :
– Comment les femmes sont-elles décrites dans leur rapport à la nourriture dans les sociétés traditionnelles ?
– Pourquoi les hommes ont-ils souvent la priorité dans la consommation de protéines comme la viande ?
– En quoi les pratiques alimentaires reflètent-elles les inégalités de genre ?
Document 2 – Elena Scappaticci, « Nouriturfu », chronique pour le magazine Usbek & Rica, 23 avril 2021
Une fois lue cette chronique, il est fort probable que vous ne dégusterez plus votre prochain kebab sauce harissa option oignons de la même manière. Il se pourrait même que vous transformiez cette délectable séance de junk food en acte militant grâce au petit essai aussi drôle que stimulant de la journaliste et traductrice Nora Bouazzouni, Steaksisme, en finir avec le mythe de la végé et du viandard (Editions Nouriturfu, avril 2021). Sa théorie ? Si le diable se cache dans les détails, le sexisme, lui, est partout dans nos assiettes. Car non, les hommes n’ont pas naturellement vocation à se doper aux prot’ tandis que les femmes se contenteraient largement de graines de courge et de jus végétaux oseille, kiwi, pomme durant leur pause dej’. L’appétit vient… en genrant.
Aristote et le smoothie aux épinards
Eh oui, allez-vous nous dire, voici ce bon vieux spectre du genre qui ressurgit, alors même qu’il est scientifiquement démontré que, à âge et taille égale, les petits garçons et les petites filles n’ont pas besoin du même apport calorique. « Faut-il pour autant nourrir chaque petit garçon comme s’il se préparait aux jeux olympiques ? » s’interroge Nora Bouazzouni. A quoi nous ajouterions : et chaque petite fille comme si elle passait le concours de l’Opéra de Paris ? Non, bien évidemment. Pourtant, c’est la pente insidieuse que prennent encore nombre de parents, et qui influe par la suite sur les pratiques alimentaires de leur progéniture.
Si ces stéréotypes demeurent encore si prégnants dans notre société, c’est parce que, pour reprendre la jolie formule de la journaliste, « nous ne nous nourrissons pas seulement d’aliments, mais aussi d’imaginaires. » Mesdames, le fait que vous vous retrouviez – pour une raison que vous ne parvenez même pas à formuler logiquement – à tenter d’absorber un smoothie aux épinards, n’est que l’ultime (et terrible) suite logique de la sédimentation sur plusieurs siècles d’imaginaires liés à la nature féminine. Première conclusion de ce constat : avant d’accuser vos parents de vous avoir infligé le régime légumes-yaourts depuis vos cinq ans, vous feriez bien de vous tourner vers un certain… Aristote.
Le célèbre philosophe grec aurait pu se contenter de bâtir l’architecture conceptuelle de la théorie politique occidentale. C’eût été largement suffisant. Malheureusement, il a également choisi de se faire scientifique en se penchant sur… Les différences biologiques entre les hommes et les femmes. Accrochez-vous bien : selon lui, la femelle serait « un mâle mutilé », ayant « par sa nature moins de chaleur » – ce qui justifierait son infériorité et sa faiblesse. Moins de chaleur = moins d’énergie = moins de besoins en prot’. Vous suivez ? L’orsqu’on sait l’influence qu’a eu le monsieur sur à peu près TOUS les penseurs de la modernité, on vous laisse deviner la suite…
Charaaaaaaaal
Au mythe du « sexe faible » initié par Aristote est progressivement accolé tout un système de valeurs qui se construisent – évidemment – en opposition à la masculinité virile shootée aux entrecôtes : délicatesse, modération, raffinement et… préférence pour les asperges. La boucle est bouclée. En hegelianiste naïf, nous serions légitimement en droit d’espérer que les choses s’arrangent avec le temps. C’est en fait tout le contraire qui se passe. Le XIXe siècle est probablement le moment durant lequel la surveillance alimentaire des femmes (ou du moins, de celles qui avaient les moyens de se nourrir correctement, notez l’ironie incroyable de la chose) atteint son climax.
Les travaux de l’historienne Susan Bordo, cités par Nora Bouazzouni – qui jongle décidément avec les références avec une aisance réjouissante – démontrent que c’est à l’époque victorienne que sont formellement théorisées ces restrictions, « via notamment des manuels de bonnes manières destinés aux femmes. Au XXe siècle déboule une autre arme de pérennisation massive de ces stéréotypes alimentaires genrés : le marketing. Nora Bouazzouni démontre brillamment la manière dont les campagnes publicitaires, tout en sexualisant à outrance le corps de femmes jeunes et longilignes, n’a fait que creuser un peu plus l’écart entre les aliments associés aux hommes (« hum Charaaaaal », vous voyez l’idée ?) et ceux dévolus aux femmes.
En 2021, la guerre du steack bat son plein
Concernant ce début de XXIe siècle, certains signaux laisseraient penser que la désaliénation s’enclenche : la parole se libère sur les troubles alimentaires – majoritairement féminins, et globalement, la déconstruction de tous les stéréotypes associés à la « nature » féminine va grand train. Et pourtant ! Comme le note Nora Bouazzouni, la guerre du steak bat son plein. Les masculinistes nostalgiques d’un âge de la virilité ont même fait de l’entrecôte le symbole de leur lutte contre les « hommes-soja », ces « sous-hommes » symboles d’un Occident en pleine déréliction… La résistance par le barbecue, cela a tout de même nettement moins d’allure que le débarquement, mais passons. Le message le plus important à retenir est celui-ci : que vous soyez homme, femme, cis, trans, que vous aimiez les poireaux plutôt que les rognons de veau, peu importe, tout cela ne dit RIEN de vous. Mais tout de même, Mesdames, la prochaine fois que vous dégusterez un kebab, dites vous que la possibilité même que vous puissiez le faire n’est pas aussi anodine que vous le croyiez – cf. Aristote & consorts.
QUESTIONS :
– Comment les stéréotypes de genre influencent-ils les choix alimentaires des hommes et des femmes ?
– Pourquoi la viande est-elle souvent associée à la masculinité dans les représentations culturelles ?
– En quoi le marketing alimentaire renforce-t-il les normes de genre ?
Document 3 – Victor Malzac, Créatine, 2024.
Le titre du roman, Créatine, désigne une protéine naturellement présente dans les muscles, qui intervient dans la production d’énergie. Le récit est le long monologue à la première personne d’un jeune homme complexé, battu par son père, qui a une révélation après avoir vu le film Conan le barbare, avec Arnold Schwarzenegger : il va devenir un « vrai homme ». Il se met à la musculation et modifie son alimentation.
Au bout d’un moment dans mes réflexions ça m’a fait un déclic, ouais carrément, tu sais quand j’ai compris, je me suis dit voilà, voilà j’ai la réponse, je sais pourquoi je mange toute cette viande, je sais. Au fond tout ça, les femmes, elles ne savent pas. Elles subissent, elles sont perdues, les pauvres femmes sont absolument toutes perdues et sans repères, elles n’ont pas d’homme je veux dire de vrai, elles sont désespérées parce qu’il n’y a pas d’homme de valeur je veux dire, sur le marché de l’homme il n’y avait que des faibles, des fragiles, des brindilles de mecs tout maigres, des gros flemmards qui ne bossent jamais, des gens maigres avec un gros ventre comme moi petit avant.
La conclusion de cette catastrophe c’est la viande, c’est le progrès la viande, il faut manger de la viande, c’est la valeur, la vraie chose. Donc ce n’était pas juste pour les femmes mais c’était en fait pour les hommes, ou plutôt contre les hommes que je mangeais et que je faisais du sport. Je devenais géant pour les femmes et contre les hommes, je voulais être le meilleur produit du mercato des hommes, sur le marché devenir le meilleur produit génétique de la nature masculine. Voilà je dois manger de la viande contre les hommes faibles, contre les gringalets, les brindilles cassées déjà, je dois manger pour grossir, pour les tuer et prendre leur place, fumer leur cigarette électronique et mettre ma main sur la cuisse des femmes comme pour les rassurer.
Alors les femmes vont m’aimer moi, moi tout seul, que moi, je vais les sauver de la déperdition du genre humain, de l’homme dépravé, faible, du gros fragile, de celui qui ne mange plus. L’objectif d’origine avait laissé place à un objectif plus grand, c’était de rendre jaloux tous les hommes, surtout les hommes qui venaient dans ce bar avec une ou deux femmes et qui riaient fort aux blagues. L’objectif c’était donc de faire en sorte d’être tellement beau et attirant, tellement musclé que les femmes viendraient directement à moi sans que j’aie besoin d’aller leur parler, que les hommes meurent dans l’apocalypse, dans la fin du monde des fragiles, des tout-maigres, des hommes qui ne sont pas des hommes, loin derrière au marathon des vrais hommes, que je les encule, enfin, non pas dans le sens premier, mais laissons les hommes de côté tu veux bien, ils sont comme les asperges qui vont mourir de sécheresse. Les femmes comprendront, elles ont le sens inné des phéromones, elles reniflent. Alors elles se poseront à ma table et m’offriront à boire gratuit, comme ma mère qui me donne neuf cent cinquante euros par semaine finalement, voilà, elles me donneront ce que je mérite, oui c’était ça que je voulais. Et à la fin je serais tellement beau et j’aurais un physique tellement attirant que je pourrais dire des insultes à tout le monde et que les hommes me regarderaient d’en bas, de leur tas d’ordures par terre, du fond de leur poubelle vitale et de leur petit corps fragile qui meurt sous les sécheresses de l’apocalypse, alors là le jour où je serai comme ça j’aurai vraiment réussi ma vie vraiment, plus fort, plus fort que tout, que moi, rien que moi, plus que moi, et les femmes sur mes genoux, je leur touche la cuisse aux femmes alors les autres hommes auront perdu et seront jaloux de moi tout le temps, je serai grand et fort à la vue de tous et je pourrai faire l’amour à plein de femmes
QUESTIONS :
– Comment le personnage principal justifie-t-il sa consommation excessive de viande et sa pratique de la musculation ?
– En quoi la viande devient-elle un symbole de virilité et de domination dans ce texte ?
– Comment les femmes sont-elles représentées dans le rapport du narrateur à la nourriture et à son corps ?
Document 4 – Marine Delcambre, « L’assiette a-t-elle un genre ? », interview de Nora Bouazzouni, GQ
Marine Delcambre – Donc, beaucoup manger serait viril et masculin et faire attention à la valeur nutritive et restreindre les portions serait féminin ?
Nora Bouazzouni – Quand les femmes sont invitées à manger en petites portions et à être discrètes, la surconsommation d’alcool ou de viande chez les hommes est une performance pour prouver qu’on fait partie du genre masculin et qu’on est hétérosexuel – les deux vont souvent de pair. C’est le rite initiatique pour montrer son appartenance. Le genre masculin se construit en opposition au féminin : ce qui est valorisant pour l’un ne l’est pas pour l’autre. On ne remet pas en cause la féminité ou la sexualité d’une végétarienne. Si un homme l’est, on doute de sa masculinité, de sa virilité et de son hétérosexualité, car les homosexuels sont comme les femmes, dévalorisés.
MD – Ça signifie que ces régimes sont encore très sexués et genrés ?
NB – Ils sont adoptés par plus de femmes parce que l’idée de ne pas manger de viande lorsqu’on est un homme est encore assez inconcevable dans l’imaginaire collectif. Des études montrent qu’on perçoit les végétariens comme des personnes plus douces, plus empathiques et notamment envers les animaux – des caractéristiques jugées féminines. Il y a aussi cette idée farfelue que les régimes alimentaires des femmes et des hommes devraient être différents. Les recommandations nutritionnelles sont identiques, seul le nombre de calories doit être plus grand chez l’homme. La femme a besoin de fer quand elle a ses règles ou qu’elle est enceinte, et de calcium lorsqu’elle est ménopausée pour prévenir l’ostéoporose.
MD -Pourtant, il existe des aliments genrés, non ?
NB – Certains aliments l’ont toujours été. Il existe beaucoup de stéréotypes sexués, confirmés par les études de consommation. La viande est, à travers les âges et les sociétés, un symbole de force et de virilité masculine. C’est le côté sanguinolent, la démonstration que l’homme est le prédateur ultime. Le poisson a un côté inoffensif, il est délicat, difficile à manger. Dans l’imaginaire genré, les hommes sont associés aux notions de simplicité et d’hédonisme, et les femmes, qu’on dit complexes, mangent de la nourriture compliquée. Les études montrent que lorsqu’elles vivent seules, 10% de leurs dépenses alimentaires sont des légumes, contre 7% pour les hommes. Même chose pour les fruits, le lait et les œufs. Il faut aussi prendre en compte le niveau d’âge, de diplôme et de vie.
MD – D’après une étude Ipsos, « la contrainte pondérale pèse plus sur les femmes que sur les hommes et ceci indépendamment de l’évolution récente ou du niveau réel de leur corpulence ». Les hommes subissent-ils moins de pression ?
NB – Les femmes sont soumises à une injonction de minceur permanente. Elles envisagent la nourriture d’un point de vue diététique et nutritionnel, et souffrent de lipophobie, une peur phobique du gras, parce que c’est ce qui fait grossir. Les hommes envisagent la nourriture d’un point de vue plus roboratif et pensent moins aux recommandations nutritives et à leur poids.
MD – Ils sont moins atteints par la diet culture ?
NB – Les hommes font des régimes, à des âges plus avancés. Ils sont rattrapés par les diktats de minceur et de beauté. Il y a le complexe d’Adonis (un trouble similaire à l’anorexie mais où la préoccupation est d’être insuffisamment musclé, ndlr). Cela a commencé dans les années 19701980, avec l’avènement des sociétés de services. Les années fitness aux icônes bodybuildées : Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger… des hommes forts, violents, virils. On parle de masculinité hégémonique, autrement dit la plus acceptée dans une société. En Occident, elle regroupe les caractéristiques évoquées plus tôt: la force, le pouvoir, le savoir, le contrôle de soi… Les hommes ont donc subi une première pression de réussite sociale qui passait par un corps en bonne santé et, dans l’imaginaire collectif, ça signifie être mince et musclé. La société dit aux femmes qu’être mince c’est être désirable, sexuellement, pour les hommes, tandis qu’on dit à ces derniers qu’être musclé est un symbole de réussite sociale.
(…)
MD – Le marketing renforce-t-il l’idée que l’assiette est genrée ?
NB – On est perméable aux idéologies et aux rôles genrés que la publicité et les médias nous donnent à voir. Un homme mange de la viande, une femme doit être mince, en bonne santé et ingurgiter des yaourts allégés. Il y a la contamination genrée : quand un produit est tellement associé à un genre que l’autre ne veut plus l’acheter. Les Américains ont inventé le « bregurt », un « yaourt de bonhomme ». Il y a aussi le «manwich». Dans les produits codés, les femmes mangent « sans » tandis qu’on ajoute des éléments pour les hommes. Dans les publicités pour le chocolat, ils dévorent des barres chocolatées qui leur procurent de l’énergie. Quand on s’adresse aux femmes, il y a un côté masturbatoire. Les publicités Charal, virilistes par excellence, sont un bon exemple : l’homme mange de la viande, est « le plus grand des prédateurs », Récemment, la marque se focalise sur le rôle reproducteur de la femme. Le sous-texte, c’est que le seul moment de ta vie de femme où tu as le droit de dévorer un steak, c’est pour nourrir l’autre. Mais ça évolue, on voit désormais des publicités où des papas donnent des steaks végétaux à leurs enfants.
QUESTIONS :
– Pourquoi la viande est-elle considérée comme un aliment masculin et les légumes comme féminins ?
– Comment les stéréotypes de genre influencent-ils les régimes alimentaires des hommes et des femmes ?
– En quoi le marketing alimentaire perpétue-t-il les clichés genrés ?
Document 5 – Mehdi Charef, Vivants
Mehdi Charef raconte son arrivée en France en 1962 ; la famille vient rejoindre le père, ouvrier, et s’installe dans le bidonville des Pâquerettes qu’elle quitte en 1963 pour être relogée dans une cité de transit à l’écart de la commune de Nanterre en attendant les HLM…
Je sais que dorénavant, je vivrai à ce rythme tous les jours. À peine rentré de l’école, après avoir avalé un croûton de pain, je serai envoyé par ma mère chez le boucher pour acheter la viande, puis de retour à la maison, expédié à la boulangerie pour en rapporter trois gros pains. Les deux trajets sont longs.
Je grimace de rage.
[…]
La boucherie est à l’entrée, parmi les premières baraques. En guise d’enseigne, de repère, des têtes de moutons, fraîchement saignées sont suspendues au-dessus de la porte. J’entre, je salue, le boucher se tourne vers moi et réponds à mon « Salam ». Il est occupé à servir une femme blonde, une Française. C’est une bonne cliente, une fidèle du lieu, qui se ravitaille pour la semaine, le boucher est ravi. Je ne pèse pas lourd avec mes 2,50 francs que je tiens dans le creux de ma main.
La dame s’en va, ses kilos de viande dans un beau cabas. À mon tour :
– Qu’est-ce qu’il te faut ?
Je me présente comme mon père m’a dit de le faire.
– Ah ! Tu es un enfant de Maghnia ! Tu passeras le bonjour à ton père. Qu’est-ce que tu veux ?
– De la viande de bœuf.
– Je vais te choisir un bon morceau à rôtir pour sa gamelle.
Il sait, le bougre, que la viande que je lui achète est pour mon père, pour son déjeuner sur le chantier. Un ouvrier qui effectue un travail pénible doit bien manger et aussi exhiber devant ses collègues une bonne gamelle préparée par son épouse. Nous, les enfants et ma mère, on ne mange pas de viande, juste du poulet une fois par semaine, le dimanche soir, parce que mon père a saigné la volaille qu’on a achetée le matin au marché d’Argenteuil.
QUESTIONS :
– Comment la viande est-elle perçue dans le contexte familial décrit par Mehdi Charef ?
– Pourquoi la viande est-elle réservée au père dans ce récit ?
– En quoi les pratiques alimentaires reflètent-elles les inégalités sociales et économiques ?
Document 6 – Marcos Lopez, « Roast in Mediolaza », 2001

QUESTIONS :
– Comment la viande est-elle représentée dans cette œuvre visuelle ?
– En quoi cette représentation peut-elle être liée à des symboles de pouvoir ou de virilité ?
– Quels messages sur les pratiques alimentaires et sociales cette image véhicule-t-elle ?
QUESTIONS DE SYNTHÈSE
1. En quoi les pratiques alimentaires reflètent-elles et renforcent-elles les inégalités de genre dans les sociétés traditionnelles et modernes ?
2. Comment le marketing et les représentations culturelles perpétuent-ils les stéréotypes de genre dans l’alimentation ?
3. Quelles sont les conséquences sociales et psychologiques des normes alimentaires genrées sur les individus, en particulier les femmes et les hommes ?